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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/151

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LUTTE AVEC LA MORT

une chose prise au filet. De ces heures près de la mort je garde un souvenir d’activité extrême. Je me sentais en pleine action ― action menée uniquement par la volonté du corps qui veut vivre. Il jouait le premier rôle, le grand, le seul. Et moi, je suivais, sans en perdre une seconde ni une ombre, ce drame essentiel. J’y assistais avec émerveillement. Les cellules combattaient… mais qui donc combattait ? Ici, je déchiffre sur mon carnet : « Je ne savais pas que le corps était si intelligent. J’ai nettement conscience d’une défaite ― celle du capitaine qui est le “moi”. Il n’est plus. Mais la machinerie lutte pour sauver le navire. »

Je sentais cela. Je le sentais et je m’étonnais… c’est donc ça, « vivre ». Quelque chose auquel nous participons très peu. Il ne m’étonne plus que nous ne comprenions pas. Saurions-nous davantage si nous surprenions le jeu des machines, si nous arrivions même à le surveiller… oui, sûrement, nous approcherions de l’état « d’être » que nous ne connaissons pas.


Je crois que c’était le deuxième soir. Un petit homme noir est venu par la fenêtre, sautant dans la chambre sur un rythme de fleur qui danse. Il m’a fait des offres de service. Je n’ai pas compris. D’autres soirs, il a passé rapide d’une fenêtre à l’autre avec un air moqueur. Maintenant que je suis dans le pays particulier de la maladie, je comprends que ce petit homme est un maître de ballet. Il faudrait une danse de cellules toutes neuves pour lutter contre la danse des microbes et leur rythme d’absolu.


… Incrustés dans l’air solidifié par la ferveur, trois peupliers montent comme trois prières.


… Mais je vois que des racines humaines tentent de retourner en terre.


Au pied de mon lit se tenaient le docteur Maurice Delort,