Aller au contenu

Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/154

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
142
LA MACHINE A COURAGE

moins, nous croyons tous à la réalité de nos bonheurs et de nos tortures. J’ai erré dans l’air comme une bulle de savon. J’ai fait des efforts à contre-vie, sans comprendre ce qu’il y avait à faire.


Comment prétendre à la survie quand nous n’avons pas connu la vie ?


Chacun de nous est enfermé dans un cercle qu’il recommence à l’infini… mais il y a de l’espoir en spirale.


J’ai vu ma vie comme une portée de musique qui n’aurait que trois lignes au lieu de cinq. Esprit, émotion, physique. Cela formait un air que je cherchais à suivre, des images que par instants j’apercevais. Sur les trois lignes tendues comme des fils télégraphiques sur un ciel, il y avait des noires, des blanches, des rondes, des pauses et des points d’orgue. Mon cœur faisait les pauses. Je cherchais à classer mes souvenirs sur les trois lignes.

Trois lignes pour toute une vie.



On dit qu’au moment de mourir on revoit toute son existence. Une fois j’ai eu conscience d’être très mal. Cela dura quelques minutes ou quelques heures. Des souvenirs ont passé devant mes yeux. C’était un film dont la moitié de la bande était complètement voilée à la base. Je ne voyais que le haut des événements comme on voit une ville sur laquelle un brouillard épais s’est couché… on ne distingue que les tours, les clochers, les paratonnerres, tout ce qui dépasse. La bande se déroula ainsi depuis mon enfance jusqu’à ce jour. J’aurais voulu voir des personnages… impossible. Ils étaient ensevelis dans l’ombre.

Une seule tête surgissait ou plutôt je voyais les rayons qu’elle dégageait et je les reconnaissais. C’était le seul Être réel que j’aie rencontré. Le seul qui m’ait répondu :

« — J’essaye d’être un homme. »