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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/168

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LA MACHINE À COURAGE

sa naissance. L’ascenseur s’élève jusqu’au dernier étage. Alors c’est l’éblouissement dans un vertige éclatant. Masques blancs, manteaux blancs, gants blancs, cage de verre dans un ciel blanc et ce silence opaque dans un rendez-vous plein d’apparat comme pour fêter une mort fausse. Mort artificielle.

Pourtant à travers tant d’horreur si bellement ordonnée, j’ai senti que l’humanité et la science commandaient. Et l’on m’a dit que je répétais des mots de gratitude.


Après l’opération il n’y a pas cette douceur d’après la maladie où il semble que surgisse dans une saison inconnue une sève adorable. Au contraire la grande difficulté commence avec la résurrection. À mesure que je retrouvais l’existence, je me sentais moins apte à la supporter. Je me levais et la force que je croyais avoir s’écroulait à chaque pas. C’était une sourde oscillation. Quelque chose de profond hésitait… Oui ou non… courage encore ou renoncement ? La fatigue des premiers efforts est tellement impossible. Je crois que c’est ici que le tempérament intervient — jusque-là, la bataille avait appartenu au corps ; maintenant tous les éléments étaient requis, tout ce qui constitue un être, du premier jour au dernier, participe au tournoi. C’est sans doute à ce moment que le « moi » apparaît.

Je ne sais pas exactement ce que l’on entend par « choc opératoire », mais je le placerais en ces jours douteux où une sorte de lâcheté ancestrale monte continuellement et submerge la vie comme une eau morte. Si le « moi » triomphe, c’est la victoire de l’esprit.

Dans les jours qui suivent l’opération la manière de penser change complètement. Je procédais par constations nettes, brèves, sans commentaires.

La réflexion ne se répand plus. Elle se manifeste visuellement, comme une affiche… Ma sœur arriva (c’est le seul fait dont je me souvienne). Je vis qu’elle était assise devant la fenêtre et qu’elle portait une robe sombre à pois blancs. Elle a dit : « J’étais à Paris, c’est pourquoi j’ai passé te voir ».