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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/174

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LA MACHINE À COURAGE

malgré mes efforts ? malgré ma volonté de trouer la brume qui m’enveloppait ? Non, non, quand le moment viendrait je serais prête, j’étais prête déjà, à « autre chose ».


LETTRES À UNE JEUNE ÉTUDIANTE.


J’essayerai de vous parler par lettre comme je le fais en face de vous. Dans votre cas, ma parole est aidée doublement par votre attention — vous savez écouter. Mais il m’est toujours facile de me dire, alors qu’une terrible angoisse me prend quand je veux écrire. Du moins écrire pour le public. Comment tuer cette angoisse… Je veux écrire comme j’écris des lettres, comme je m’entretiens avec une personne, pas des personnes. Écrire à un ami m’est une libération — je vois la chose de vie qui naît sur le papier. Écrire au public m’est un étouffement.

C’est cette chose de vie que je veux surtout, par dessus tout. Elle est le sang des mots. Le capter sur papier est le plus difficile problème de ma vie actuelle. Vivre sans avoir de quoi vivre est encore plus simple.

Il faut que je m’exprime une fois pour toutes sous peine d’être électrocutée. Je suis arrivée à une heure qui m’angoisse plus que les plus affreuses que j’aie pu vivre. Il faut que je m’exprime par des mots, mais sans employer un seul mot flotteur. Ah ! ces mots gonflés comme des ballons, ils sont à la racine de mon mal. J’ai vu leur vide et suis tombée dans ce mutisme étrangleur.

Devenir muette ! moi qui ne respire que par l’exaltation. C’est dire dans quel infernal pays je me suis trouvée, et pourquoi m’exprimer est devenu de plus en plus nécessaire et difficile.

Il faut pourtant que j’arrête les maladies qui maintenant menacent d’être ma seule expression, c’est pourquoi je me suis jetée ce matin sur cette feuille de papier, pour me dire à vous. Je ne lâcherai pas cette lettre avant d’avoir tout dit.


Toujours, de tous les êtres qui ont vécu dans mon intimité, j’ai entendu la même prière : « Écris donc comme tu