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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/197

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LE DESSIN

à mon esprit et je n’aurais jamais la prétention de vouloir écrire une poésie.

Des poètes disent que c’est un jeu. Pour moi c’est une peine qui s’en va de moi, puis revient, remonte pour redescendre, encore et toujours, sous de nouveaux aspects. Je n’y puis rien ; si je m’en mêlais je gâterais tout. Cela dépend encore d’une vision, je peux voir une souffrance comme une image tracée par mes nerfs. Elle se précise jusqu’au moment où il est nécessaire qu’elle tombe de mon être. D’autres se formeront, elles seront différentes, mais de même nature. C’est l’histoire d’un arbre à fruits.


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Le Théâtre.


Jouer la comédie, qu’est-ce que c’est ? Se monter le cou, se lâcher, s’abandonner.

En entrant en scène, ravie, je sentais :

« — Quel bonheur, je vais me lâcher. »

Je n’ai jamais vu lâcher la vapeur d’une locomotive sans penser : voilà ce que je fais au théâtre — plus ou moins de force, quelque chose de judicieux qui intervient comme un frein dans une descente rapide et c’est tout. Pas d’autre secret. Donc j’ai été plus heureuse en jouant qu’en chantant. Excepté en chantant Carmen où la musique est tellement collée au personnage qu’elle augmente encore la fuite de l’échappement. Carmen, cigarettes et vibrations, œillades et coups de talons, poulain échappé. Exaltation ornée de cocardes et de ruades. Ruades jusqu’à la mort curieux exemple d’héroïsme sans le savoir. On voudrait davantage quand on chante Carmen… Le souvenir de mon sang chaud qui coule sur ma main me soulage encore. À l’Opéra de Bruxelles. Ce soir-là, mon ténor a pris un poignard vrai sur sa panoplie — assez du poignard de bois couvert de papier d’argent, assez de toute cette blague alors que nous jouons