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L’ENTENTE

autant dans le bouillonnement des mots que dans la glace du silence… là, au moins, je peux imaginer ce qui me plaît. Un homme passe, visage fermé comme le livre qu’il tient sous le bras, il peut m’émouvoir ; mais si l’homme passe en criant et gesticulant je n’ai qu’à fuir. À Gardone nous causions — d’Annunzio et moi ; lui en tunique grecque succinte, moi en longue robe et col fermé. En vérité lui seul parlait. J’évoquais dans la chambre à côté un catafalque accueillant, fait d’acajou clouté d’or.


L’entente ne se rêve pas. Elle n’accompagne pas le jeune amour avec ses roses, ses failles, ses vides, son charme, ses fins et sa fin. Ma recherche fut longue, difficile, le monde devenait désert, je tournais sur moi-même. Parfois mon imagination s’élançait, arrangeait, maquillait. Puis soudain je voyais clair — il n’y avait personne en face de moi, j’avais parlé toute seule. Maintenant je vis l’entente. Depuis plus de quinze ans je la regarde avec surprise et certitude. Elle est un résultat : collaboration à vivre. Recherche à deux en idées, en développement, en connaissance, appétit de mieux être, de mieux comprendre et de penser avec quelque réalité. Elle est ma preuve d’existence et ma mesure. Par elle j’apprends où je suis et peut-être qui je suis.

Je lis cette réflexion d’un philosophe : « Nous ne serons pas plus seuls dans la mort que dans la vie. » Je ne vois là qu’une grande impuissance. La solitude est toujours à la mesure du pouvoir de communication. Il y a beaucoup de vanité dans ce « sublime douloureux » de l’éternelle solitude. Bien des gens la revendiquent comme s’ils devaient emporter dans la tombe des puits de souffrance ignorées de l’humanité. Que verrait-on d’inconnu si l’on découvrait ces abîmes cachés qu’ils regrettent d’emporter dans la mort…

Quand un Pascal crie son exil, il est seul par rapport à son Dieu. L’homme qui déclare être seul dans la vie comme dans la mort ne croit pas à la divine communication. Cependant, il croit à la haine et à la perfidie.

Ceux-là qui nient l’entente dont je parle, sont-ils au balcon de la quatrième dimension pour juger de ce que je vis dans