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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/208

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LA MACHINE À COURAGE

mes trois petites dimensions ? Ils acceptent le relatif en toutes choses, mais réclament l’absolu dans ce qu’ils ne comprennent pas. Ils croient mériter l’absolu et ne sont comme moi que des fantômes.


Mille choses peuvent empêcher l’entente entre deux êtres qui la désirent. Un vice peut l’empêcher — surtout un vice comme l’avarice ou l’indélicatesse. Un égoïsme trop sphérique, un relâchement dans l’élan, le vieillissement des cellules, des appétits sensuels, le manque de bonne foi ou le manque de distinction ou manque de ce sérieux léger que l’on souhaite et qui ne pèse pas. Obstacles tangibles à l’entente : les vibrations lourdes qui écrasent l’atmosphère ; un esprit vide et agité qui bavarde comme une grosses mouche bourdonne ; une légèreté pesante, semblable à un essaim de moucherons sur la route ; les gens qui éclaboussent en entrant dans une maison comme s’ils entraient dans l’eau ; les gens d’autorité redoutables, dont les paroles inutiles claquent comme la grêle sur une vitre ; les gens intelligents aux vibrations fortes mais qui ne peuvent pas dire un seul mot vrai, ou qui existent tellement à côté de tout qu’on se demande comment ils font pour monter en auto ou passer une porte… On essaye vainement de les traduire en vrai. Il y a les discoureurs aux vibrations impétueuses qui bousculent tout sur leur passage pour faire place à leurs discours. Il y a ceux qui n’ont pas de vibrations ; elles semblent couper au ras de leur silhouette comme des poils tondus. Il y a l’espèce chronomêtre qui croit tout savoir, tout régler ; et ceux qui frappent, qui piquent, qui mentent, jettent leur venin au hasard de leur bile — tandis que leurs émanations griffent et que leur bouche pleine de fiel garde un pli tortueux comme celle de Lugné Poe.

Dans mon journal de petite fille j’avais noté : « Les grandes idées sont des objets d’étagère, on ne s’en sert pas. Je m’en servirai ». J’ai tenu parole. L’idée de l’entente est la seconde des nécessités essentielles de l’homme. La première est l’espérance de trouver Dieu. La seconde est l’espérance d’établir une communication vraie avec un autre être.