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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/210

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CHAPITRE II

VERS LE BUT



Me voici arrivée au point où nous arrivons tous et qui semble être le point négatif de l’existence. Les femmes ne font plus d’enfants et les hommes plus d’affaires. On se repose, on pense que l’on descend la côte (comme si jamais on l’avait montée). On déclare — avec un ton de satisfaction incompréhensible — que l’on se fait vieux, que la tâche est finie, que l’on n’est plus comme dans le temps, que c’est aux autres de vivre… et cette vie dont on parle s’étend à peu près de vingt à cinquante ans — encore en tirant dessus, et parce que la jeunesse des femmes est plus élastique aujourd’hui qu’à l’époque de Balzac. On juge que la vie s’achève quand je juge qu’elle est à peine. On voit l’existence en courbe alors qu’elle peut et doit être une ligne ascendante. Selon moi la vie commence à cinquante ans et après ne cesse de monter. Tout ce qui vaut la peine de vivre commence à ce moment là. C’est l’heure de vivre « autre chose ».

J’ai l’impression que toute ma vie je l’ai vécue pour mon particulier présent. Je dois avouer que je n’ai pas fini avec l’art et les clairs de lune, avec la musique et le printemps, et que je ne serai jamais insensible à tous les ravissements qui sont l’adorable écume de la terre. Mais apprendre à vivre demande un peu d’abdication. Il y a des changements de plan et