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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/211

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VERS LE BUT

de rang, et puis il y a des manières de regarder qui sont infinies et donnent aux bonheurs la place qu’ils méritent.

Colette m’écrivait en 19.., à propos de mon premier livre Le choix de la Vie : « Mais je ne vais plus oser te parler ! Tu dis : Nous ne perdons rien quand une triste vérité prend la place d’un beau rêve. Penserai-je jamais aussi noblement ? Non, je crois même que je regretterais. Pardonne-moi, il me manque, avec tant d’autres choses, le « besoin de la connaissance ». Ignorer à demi, craindre, dédaigner, désirer passionnément et sans activité, détester et maudire jusqu’aux coups de poing inclusivement, c’est le lot qu’il faut me laisser. J’ai été étonnée — pardon ! étonnée — de la force inépuisable qu’on devine en toi. Je te voudrais reine de quelque chose ou de quelque part, et les gens seraient épatés. »

Mais je ne suis pas de ces personnes pressées qui dès le début de la vie se jettent sur ce qu’elles ont entrevu. Je cherche, je doute, j’attends, cherche encore et doute encore. Ce cycle a recommencé toute ma vie jusqu’en 1924. Depuis, ma recherche a tourné au ralenti comme la bille de la roulette avant de s’arrêter, hésitant, se heurtant, revenant à son centre, puis s’immobilisant enfin définitivement en 1934.


C’était à New-York en 1924 que je rencontrai quelqu’un et quelque chose. Alors je commençai à penser : « il y a là une Vérité. »

Cette vérité je ne l’ai pas quittée depuis. Je l’ai étudiée, regardée parfois obliquement en essayant presque de la trahir, mais elle a triomphe de mes ruses, elle a continué son chemin, s’affirmant de plus en plus. Et maintenant — cela fait quinze ans — elle est devenue, pour moi : la vérité.

Le dire en un mot, en plusieurs mots — en mots infinis — serait l’anéantir. La vérité qui entrerait dans une formule ne serait rien. Je dirai simplement que ce que j’ai senti et compris, ce qu’elle a fait pour moi en transformant mes aspirations en une seule totale énergie. Je dirai non ce que j’espère, mais ce que j’ai appris à vouloir.