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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/227

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VERS LE BUT

rien change en soi. Ce sont des enseignements spéciaux qui ne révèlent pas la substance qu’ils renferment.

L’homme a autre chose à faire que lire, admirer, spéculer. L’étude du « Connais-toi toi-même » exige un travail spécial et une vie qui se donne.

À ceux qui pensent que par le travail ils atteindraient à des résultats qui passeraient au-dessus de leur entendement on voudrait dire :

« — Commencez d’abord le travail. »

Tout travail impose les mêmes lois. La route qui apparaît verticale s’abaisse à mesure qu’on la monte.

Cette hésitation à donner sa vie est basée surtout, je crois, sur la peur. Toute initiation comporte une période de panique. Le premier gouffre est entre « savoir et incorporer ».

Je relève dans mon journal quelques fragments de cette époque pénible d’incorporation… Résurrection et chute se suivirent longtemps. Puis il y eut une longue, lente période d’égalisation sans laquelle on ne peut rien construire. Ce fut comme un niveau d’eau qui s’établissait apportant sa désolation féconde. Ni désespoir ni espoir. Je vivais sous un tunnel.


Journal : 10 octobre 37. Je sais que j’approche — moralement, psychiquement — des instants graves. Je sais l’équilibre qu’il faut maintenir dans les épreuves. Je sais la balance nécessaire entre les trois centres, et que le temps d’une vie ne suffirait pas à l’atteindre. Quelques lignes de Goethe me hantent constamment : « Point de chemin ! C’est le non frayé dans ce que nul ne peut fouler… Dans le lointain éternellement vide tu ne verras rien de solide pour te reposer. »

Je sais et je déteste mon angoisse. Si grande soit-elle, je la juge petite.

Mais j’ai peur. Peur de quoi ? De mille peurs qui n’ont pas toutes un nom. Ce sont mes parents, mes ancêtres qui ont peur en moi. Alors, pourquoi les écouter ? Je n’ai pas eu si peur devant la mort. C’était donc plus naturel ? Certes, oui.

D’autres avant moi ont fait ce que je veux faire. Mais