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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/228

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LA MACHINE À COURAGE

cela n’apprend rien, car pour la première fois chaque être est lui-même, chaque expérience est neuve puisqu’elle s’ajuste à une vérité immuable. J’envie les impatients qui se sont précipités sans hésiter. Je ne crains pas cependant de me tromper. Ma confiance a suffi à me faire sortir de la vie du monde. J’ai déjà opposé à la vie facile bien des refus. Je vois à présent, devant ceux que je vois faire, qu’ils étaient peu de chose — peut-être même étaient-ils paresse, ennui des recommencements. Qu’y aura-t-il changé ? Impossible de savoir.

Aucun sacrifice n’est exigé, mais on ne peut élargir le temps. Il faut choisir. Une petite vie pour une grande vérité. C’est peu. Il faut payer. Le prix est d’autant plus élevé que l’expérience vaut davantage. J’ai honte de mon hésitation. Il me semble que je me marchande. Pourtant je veux discuter avec moi-même avant que ce moi-même ne m’appartienne plus. Vous avancerez dans les ténèbres sans rien savoir ; vous ne verrez pas de progrès. Paraître est aboli au profit d’être. Le moment le plus dur arrivera. Vous ne le saurez qu’en le vivant, en vous sentant perdu et sans secours. Le Maître vous regardera peiner, trébucher et ne dira rien. Sa parole fut :

« — Je ne peux pas vous développer. Je peux créer les conditions dans lesquelles vous pouvez vous développer vous-même. »


12 octobre 37. Le moment important est là. Je ne peux ignorer ce que l’on encourt. Je pense même que ce serait idiot de ne pas y penser. Pourtant ma conclusion est toujours la même : je préfère « tout » risquer que de me regarder glisser, ralentir, diminuer psychiquement, comprendre moins, entendre moins… Non, à aucun prix. Assez de souffrir, assez de lutter, assez de voir la mort en face, de plus en plus proche. NON, je risquerai.

On pourrait me dire : « Tu perds la raison. » De quelle raison parle-t-on ?