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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/232

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CHAPITRE III

CONCLUSION



Le Phare — 1939.


Maintenant que j’assemble mes notes écrites pendant « mon changement de route », je suis frappée par un décalage essentiel que j’ai du mal à comprendre. Qu’est-ce que ces détresses, ce désespoir qui restèrent si loin de moi ? Ils se sont passés si loin de ma vie vécue qu’ils n’ont jamais eu de voix, pas un cri matériel. Pourquoi cette douleur quand moi je n’avais pas de douleur ? L’âme, cela se passe donc réellement ailleurs ? Je ne savais pas qu’elle dût tant souffrir pour s’enfanter. Elle est ma vie, comment peut-elle être si en dehors du mode de l’humain ?

J’ai une sorte d’effroi en écrivant ces lignes, dans le rayon électrique d’une lampe de poche, pour ne pas inquiéter celles qui pourraient apercevoir une lueur dans ma chambre et me croire malade. Je dormais après avoir rassemblé mes notes, cet après-midi et toute la soirée. C’était la nuit, trois heures du matin. Par la fenêtre la lune et son reflet dans l’eau arrivaient jusqu’à mon lit. Je dormais, ce fut comme une déchirure qui fendit mon sommeil en deux et cette idée parut : où se passe ce désespoir que j’ai écrit, alors que ma vie est si heureuse ? Le disque de ma lampe éclaire exactement