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NEW-YORK

la coiffaient en rond. Dans sa voix comme dans ses manières, elle était sans angles. Dans cette apparence bien rangée, il ne pouvait habiter qu’un caractère sans aspérités. À Paris, quand elle parut chez moi, avec son regard tranquille, il me sembla que toute la paix des béguinages flamands allait m’accompagner sur le nouveau continent.


Monique me débarrassait de mon manteau et m’annonçait une bonne nouvelle. Un de ces messieurs du journal avait trouvé un appartement pour nous — une occasion, une vraie chance ; de plus une négresse pour faire notre ménage et la vie serait pour rien. — « D’ailleurs, ajoutait Monique, ils nous diront tout ce qu’il faut faire, ils sont si bons. »

Liée par contrat avec Véral D., agent de William Randolph Hearst, le plus fameux des rois de la presse américaine, j’attendais que l’on juge le moment opportun de « me lancer ». Rien à cette époque ne pouvait me plaire mieux que cette vie entre parenthèses. — « Qui parle de business dans ce pays ? » On m’encourage à rêver, à me promener. On me remercie de n’être point pressée de paraître et l’on m’est reconnaissant de ma confiante obéissance. « On ne veut que votre bonheur », répétait mon manager.

J’avais rencontré Véral D. à Paris, un an plus tôt (1919). Le mariage de Maeterlinck et notre séparation venaient d’avoir lieu. Je relevais de maladie et je voulais absolument partir pour l’Amérique. Mais je ne possédais ni argent ni bijoux ni bibelots rares. Ce que j’avais pu gagner en jouant de belles œuvres qui n’étaient pas pour le grand public, je l’avais consacré à ces mêmes œuvres, et n’ayant eu comme la plupart des artistes aucun engagement pendant la guerre, j’avais dû vivre modestement. Certes, j’aurais pu être prévoyante… mais la prévoyance n’est-elle pas de l’avarice préventive…

Véral D. m’apparut comme un sauveur. Il prétendait tenir les fils des plus grandes affaires : magazines, cinémas, concerts, théâtres. Je ne lui en demandais pas tant… Il était persuasif et sûr de lui (comme ceux qui, n’ayant rien, n’ont rien à perdre). Il me fit des promesses extravagantes. J’acceptai un contrat qui me liait à lui pour cinq ans, lui assurant