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WILLIAM RANDOLPH HEARST

était de trente pour cent. Chaque fois qu’il prélevait au Sunday American une avance pour moi sur mon paiement futur, il prenait son pourcentage et n’en demandait pas plus, c’était un sage.

Je me sentais là comme dans un coin du jardin d’acclimatation, moins l’estime que j’éprouve pour l’intégrité de la vie animale.


Ils me conduisirent dans les restaurants chics, dans les théâtres et les music-halls. Je devais mettre mes plus grandes toilettes. Alors on observait l’impression qu’elles produisaient et l’on parlait affaires. Il fallait bien manger un peu du gâteau en imagination.

Un soir que l’on avait particulièrement bien dîné avec les amis des amis, nous allâmes souper après le théâtre dans un restaurant où l’on servait du vin dans des tasses pour tromper la surveillance des agents de la prohibition. Un groupe de nègres se trémoussait sur une estrade en poussant des cris aigus. C’était la grande noce. Elle se prolongea tard dans la nuit.

À la fin, chacun vint me remercier. J’étais un peu surprise… quand Véral me glissa à l’oreille :

« — C’est vous qui payez ce soir. »

« — Mais… »

« — Vous comprenez que vous ne pouvez pas toujours être l’invitée, alors, j’ai pris au journal le nécessaire. »

Si j’avais eu quelque méfiance, j’aurais compris. Mais à cette époque je vivais dans une sorte de léthargie. J’allais, je venais, je parlais, ni heureuse, ni malheureuse. J’avançais sans savoir vers quoi, attendant que viennent les sources d’une existence réelle. Les gens qui s’occupaient de mes affaires avaient beau jeu — j’étais ailleurs. Je pensais simplement :

« — Que me veut la vie toute puissante ? Pourquoi suis-je maintenant comme une terre d’hiver ?… Et quand viendra la germination ? » Je gardais ma foi. Foi qui ne reposait sur rien, phénomène organique dont je ne savais ni l’ordre, ni les lois, mais je croyais en sa force, elle me porterait, me grandirait.