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LA MACHINE À COURAGE

Je connaissais quelques personnes à New-York. Cependant je m’abstins de leur téléphoner.

« — Aussi longtemps que vous n’aurez pas débuté, disait Véral, ne signalez pas votre présence. Contentez-vous des personnes que je vous amène et qui savent nos plans. »

Chaque jour je sortais seule au hasard. Je regardais. Mes journées se passaient à regarder. Dans les magasins, dans les musées, surtout à la public library où l’on obtient un livre en deux secondes.

J’allais partout où ma curiosité me poussait. Une fois j’aperçus au delà d’une porte un large escalier de fer qui semblait public. Je m’y engageai, un agent me dit des mots que je ne compris pas, mais il souriait, c’était assez. Je montai des étages et des étages sans fin, et tout en haut je me vis au dernier rang d’un immense amphithéâtre, sans doute 80 ou 90 mètres de profondeur. Au fond de cet entonnoir je devinais des ruisseaux brillants de clowns, de chevaux, de drapeaux, une fantasmagorie étincelante. Une musique que je sentais violente m’arrivait presque morte. Mais ce qui me retenait étaient les parois de l’abîme ; parois vivantes, faites de mains claquantes et de bouches hurlantes. Je distinguais là pour la première fois l’enthousiasme de la race américaine, cette race panachée faite de ce qui est le plus audacieux, le plus tonique parmi les autres pays.

J’étais trop loin pour m’amuser du spectacle, au milieu des pompiers, des oranges et des peanuts, mais combien il me plaisait de voir cette ébullition de forces dans quoi je me jetterais bientôt. Certes, je la mesurais à une manifestation enfantine et je ne savais pas ce qu’elle serait simplement soulevée par une chose d’art.

Je gardais donc mon jugement lorsque intervint dans ces arènes délirantes un silence total et frémissant, fait de tous les souffles retenus. Il me fit penser à celui d’une forêt, la nuit, quand on surprend soudain la respiration de la terre. On avait un peu baissé la brutalité des projecteurs. Alors j’aperçus, arrivant sur l’estrade au milieu du cirque, une fragile silhouette noire. Une voix translucide s’éleva. Un chant paisible, lent,