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GENTLEMAN DE LONG-ISLAND

son nom. Vous resterez là autant que vous voudrez. Il s’est installé à l’hôtel pour vous abandonner sa maison. »

Il m’est impossible de retrouver l’emploi de mon temps pendant les dix jours que je vécus cette féerie. La paix me faisait sentir l’épuisement que j’avais ignoré dans la lutte. Sarah Bernhardt me disait souvent :

« — Je ne prends jamais de repos, c’est le secret de ma force. »


Notre hôte, John Tilden, me fut enfin présenté la veille de mon départ. Il organisa une fête pour moi — cocktails, dîner, musique, danse, etc. Placé au souper à côté de lui, je souhaitais le connaître. Ce n’était pas facile. Il ne savait pas un mot de français et sa timidité me gagnait. Je parvins à dire :

« — I will tell you thank you. » En rougissant, il répondit :

« — I am glad, I am happy. »

Ce fut tout. Nous étions l’un et l’autre à bout de ressources.

Je partis tôt le lendemain et ne revis jamais ce parfait gentleman.


Je commençais à comprendre ce que je devais expérimenter sans cesse en Amérique — la psychologie spéciale de la bonté américaine.

Ce n’est pas précisément bonté, pas même élan ou enthousiasme. Pas davantage admiration et snobisme envers les artistes, comme on le croit souvent. C’est plus profond — c’est organique. D’abord le besoin d’être gentils, une nécessité de générosité si réelle que la gratitude qu’ils font naître est réciproque. Pour un peu ils remercieraient la personne qui leur permet d’exercer leur bonté. C’est pour cela qu’ils arrivent dans une existence inconnue avec une chaleur brûlante et vraie.

Ils ont une prégénérosité. Ils ne s’inquiètent guère si elle est ou non méritée. Ils donnent naïvement, ils sont innocents dans leur manière de posséder et de donner. Ils ont des façons de père Noël chargé de cadeaux et semblent disparaître