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LA MACHINE À COURAGE

Parfois la curiosité me retient la nuit sur ma tour pour regarder les aspects fantastiques de la cité. C’est toujours autre chose, et toujours extraordinaire. L’obscurité m’apparaît à peine à travers les nappes de vives couleurs qui l’emplissent. Mais ces nappes mouvantes laissent parfois voir de grands trous pleins d’étoiles pâlies. À l’aube une fraîcheur traversée de souffles glacés. Une pureté adorable.


On enregistre lentement, inconsciemment, l’atmosphère d’une race. Elle me semble devenir presque tangible dans ces aurores que je goûte sur ma tour. Une certaine vapeur est dans l’air, une odeur si jeune, si fraîche, un peu mouillée. Elle ne vient pas de la mer. Odeur des matins de New-York… je sens que j’aime vraiment ce pays… Je revois le réveil de la City, tardif et soudain, rejoignant le ciel, installé d’un seul coup, seulement à 8 heures 1/2, et si différent du réveil peu à peu dans le Paris matinal — à 4 heures déjà quelques pas, à 5 heures les grosses voitures, à 6 heures toute la ville se prépare et elle s’ouvre, à 6 heures 1/2, elle se met en action.


Pensé au plan de la ville — logique : une colonne vertébrale. Les buildings dans le ciel, pourquoi pas ? Il y a toujours de la place là-haut. C’est d’accord avec la sève de la race.


Le rythme de la vie est celui de la foire. Des attractions m’emportent, me précipitent, et le fond du précipice me fait rebondir en l’air. Quand je crois saisir quelque chose, rien n’arrive ; quand je désespère, un nouveau mirage se présente. Dans aucun pays, dans aucun milieu en Europe, on ne peut imaginer une telle vie. Est-ce l’influence de l’air si léger, si électrisé ? Rien ne pèse, et rien n’est sérieux, on réfléchit peu et pas de la même façon que chez nous. Il semble que l’on