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LE ROMAN D’UNE JEUNE FILLE

Gilberte, qui commençait à s’ennuyer infiniment, écouta sans un mot, ce qui fut pris pour de la déférence admirative. La vérité est que cette joute oratoire la surprenait beaucoup. Tous ces gens, qui parlaient tour à tour, avaient l’air de poursuivre autant de conversations différentes, chacun d’eux ne pensant qu’à briller dans le département qui lui était dévolu. À M. Lartiste qui s’était escrimé sur la peine de mort, son triomphe, Mme de la Vaudraye répondit vigoureusement par un parallèle entre Victor Hugo et Lamartine, lequel parallèle trouvait sa réfutation, dûment justifiée dans un élan lyrique de M. Beaufrelant sur les oignons du dahlia double.

Et le plus grand sérieux présidait à ces incohérences, chacun foudroyait dans son interlocuteur l’adversaire irréductible qu’il se supposait. Et le cercle muet des auditeurs écoutait avec des hochements et des grognements d’approbation, comme si ces débats étranges les eussent passionnés au dernier point.

« Eh bien, et vous ? dit Mme de la Vaudraye à M. Simare père, au moment précis où l’ardeur du tournoi semblait prête à fléchir, vous n’êtes donc pas en verve aujourd’hui ? »

M. Simare, l’anecdotier, sourit. Il excellait à se taire jusquà ce qu’on l’interrogeât, et son silence goguenard, gros de promesses, donnait un prix énorme à l’unique anecdote dont il vous gratifiait chaque soir, après l’avoir bien préparée, polie, repolie, et taillée à facettes comme une pierre précieuse. Avant qu’il n’ouvrit la bouche, on éclata de rire : à son air on avait compris que l’histoire serait un peu… scabreuse.