Page:Leblanc - La Robe d’écailles roses, 1935.djvu/151

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
147
LE ROMAN D’UNE JEUNE FILLE

ces lignes, j’aurai quitté Domfront. Vous êtes riche et je suis pauvre, ne cherchez pas d’autre explication à mon départ et à ma conduite passée. Si je vous ai aimée du premier jour, du premier jour aussi je me suis juré de vous fuir et de taire à jamais le sentiment que vous m’inspirez.

« Comprenez-vous maintenant pourquoi je me suis montré si froid avec vous, dès le début, bien que mon cœur battit au seul son de votre voix, pourquoi j’étais si dur avec ma mère dont les projets, visibles pour tous, m’exaspéraient — j’avais si peur de vous en paraître complice ! — pourquoi je suis resté dans l’ombre, me cachant dans ces roches, vous regardant de loin, comme un but que je savais et que je voulais inaccessible ?

« Mais vous êtes venue à moi, Gilberte, toute mon excuse est là. Vous êtes venue par bonté pour ma mère, peut-être aussi poussée par cet instinct qui nous fait sentir l’amour où il se dissimule le plus profondément. Que pouvais-je contre votre charme ? Je n’ai même plus lutté. J’ai fermé les yeux à tout ce qui n’était pas vous, vous et votre beauté, et votre sourire, et votre grâce, et la couleur de vos cheveux, et la fraicheur de vos joues, et le rythme de votre marche, et, sans plus songer à mon serment ni aux conséquences inévitables de ma lâcheté, j’ai accepté la joie infinie qui s’offrait. Oh ! Gilberte, ces quelques semaines… ! Mais il y avait une chose que mes rêves les plus audacieux n’avaient jamais imaginée : vous m’aimez, vous aussi.

« Vous m’aimez, c’est-à-dire que demain, après-de-