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LE ROMAN D’UNE JEUNE FILLE

aux heures heureuses, débordent d’expansion et de joie, mais qui, dans les épreuves, se replient sur elles-mêmes et vivent en cette sorte de contemplation silencieuse qui est comme une attente résignée. Elle semblait ainsi, dominant sa peine et ne laissant échapper aucun signe de révolte ou de détresse, moins sensible que d’autres aux coups les plus cruels dont le destin l’accablait, et elle poursuivait à travers les obstacles et les vicissitudes, son rêve intérieur, son rêve triste ou gai, lumineux ou sombre, mais toujours fait d’amour et de bonté.

Le moment le plus affreux était la fin des journées. La nuit venait tard à cette époque, et c’eût été bien doux après le dîner de se rendre là-bas, auprès du pavillon ! Elle ne doutait pas que Guillaume ne fût exact à leurs anciens rendez-vous. Il devait tendre les mains vers elle, l’appeler, la supplier, la maudire… quel supplice de n’y point aller !

Elle ne cessait de penser à lui. Les souvenirs de leur passé commun étaient le seul charme du présent, et, par une illusion d’amoureuse, pour elle, ses propres souvenirs commençaient du jour même où commençaient ceux de Guillaume. Elle se souvenait de la minute où il l’avait surprise levant son voile de deuil dans le jardin des ruines. Elle se souvenait de l’instant où, caché derrière une tenture du Logis, il approchait d’elle pour la première fois. Ne l’avait-elle pas toujours aimé ? Pourquoi, dès l’abord, et malgré les rebuffades calculées de Guillaume, cherchait-elle instinctivement à l’apprivoiser, selon le mot de Mme de la Vaudraye, et à gagner sa sympathie ?