Page:Leblanc - La Vie extravagante de Balthazar, paru dans Le Journal, 1924-1925.djvu/21

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— Le nom que je porte…

— Je me fiche de votre nom. Pour moi, vous êtes le chenapan Balthazar et, comme tel, recherché par la police…

Le professeur sursauta :

— Hein ? Qu’osez-vous dire ?

— Recherché par la police ! vociféra Charles Rondot. Deux inspecteurs sont venus ce matin me demander des renseignements sur vous, monsieur ! et je leur ai donné votre adresse, monsieur ! Villa des Danaïdes ! On va vous cueillir comme un chenapan !…

Balthazar s’effondrait un peu plus à chaque insulte. Sous la poussée frénétique de l’ennemi, il reculait vers la porte du fond, comme s’il eût encore préféré les menottes de la police à la colère de Charles Rondot.

— Je te prie, papa, de ne pas toucher à un seul des cheveux de mon fiancé.

La porte s’était ouverte et Yolande apparaissait, calme et majestueuse. Balthazar, ne doutant plus que le courroux de Charles Rondot ne se précipitât tout entier sur l’intruse, éprouva un grand soulagement. Pas un seul de ses cheveux ne serait touché. Quelle sécurité ! Mais il apprit, une fois de plus, que les choses se passaient à l’envers de ses prévisions. Charles Rondot, désemparé subitement et hors de combat, baissa le nez, ainsi qu’un enfant pris en faute, et Yolande, dont l’assiduité à la Comédie-Française anoblissait encore les manières distinguées, tendit à son fiancé une main qu’il agrippa comme on s’accroche à une branche.

— Balthassar, dit-elle, avec la magnifique sonorité qu’elle donnait aux trois syllabes, Balthassar, j’ignorais que mon père fût là, et je viens d’apprendre le bruit de la discussion. Excusez-moi et ne m’en veuillez pas. Mais tenez compte, je vous en prie, de l’avertissement qu’il vous a donné. Vous êtes sous le coup d’une arrestation imminente.

— Mais c’est impossible, mademoiselle ! gémit-il éperdu.

— Balthassar, ce matin, mon père a communiqué votre adresse — et c’est ainsi que je l’ai connue — à deux inspecteurs qui l’interrogeaient sur vous. Or, des fenêtres de ma chambre, on les voit tous deux dans la rue. Ils vous ont suivi.

— Mais pourquoi ?

— J’ai cru comprendre, Balthassar, qu’il s’agissait de vos accointances avec l’assassin Gourneuve et avec la bande des Mastropieds et qu’ils ont pour mission de vous conduire à la Préfecture de police.

Il fut abasourdi et frissonna :

— Gourneuve… Les Mastropieds… la Préfecture de police… Ah ! je suis perdu…

— Vous êtes sauvé ! s’écria-t-elle, du ton victorieux dont elle eût annoncé à Hernani qu’il était libre. Les magasins ont une sortie particulière sur la rue voisine. Suivez-moi, Balthassar.

Sous les yeux de Charles Rondot, lequel n’avait pas risqué un murmure de protestation, ils s’en allèrent comme des amants de théâtre qui, enlacés et marchant au pas, s’éloignent vers la toile de fond. Ainsi furent franchis la salle à manger, puis le vestibule, puis des couloirs éclairés au gaz où leurs ombres touchaient de la tête au plafond. Une porte de service les arrêta.

— Ton front, Balthassar.

Balthazar ôta son chapeau. Une grêle de baisers s’abattit sur son crâne.