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Page:Leblanc - La Vie extravagante de Balthazar, paru dans Le Journal, 1924-1925.djvu/22

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Ensuite, d’un geste large, Yolande tira le verrou.

— Va.

Le mot et le mouvement qui l’accompagna étaient empreints d’une telle solennité que toutes paroles et déclarations eussent amoindri la grandeur de l’adieu. Balthazar ne se retourna même pas. Il aspirait à pleine poitrine l’air enivrant d’une liberté qu’il avait été sur le point de perdre. La tête droite, le cou hors du faux col, il ne voyait du spectacle des rues que la bande de ciel bleu tendue au-dessus d’elles.

Il rejoignit Coloquinte au square des Batignolles. Elle était pâle, comme si sa vie eût été en jeu.

— La police me recherche, les Danaïdes doivent être cernées, dit-il, évoquant ainsi l’investissement d’une citadelle par des corps de troupes.

— Cernées !

— Oui, prenons le train.

— Mais ?…

— Mais quoi ? N’avons-nous pas tout ce qu’il faut dans ta serviette ? fit Balthazar qui avait vu tant de choses sortir de cette serviette qu’elle lui semblait inépuisable en provisions de toute espèce ! Allons, tu es prête ?

Elle était prête à le suivre au bout du monde. Mais il ne remua pas, et elle vit son regard fixé sur un individu à forte moustache et d’aspect bourru qui s’avançait vers lui.

— Voici l’un des inspecteurs, dit-il entre ses dents. M. Rondot a trahi sa fille et les a lancés sur ma piste.

Et sa conviction était si forte qu’il annonça :

— C’est moi que vous cherchez, n’est-ce pas, monsieur l’inspecteur ? C’est bien moi, le sieur Balthazar ? Je suis à votre disposition.

À quoi bon résister ? la bataille était perdue. L’héroïsme de Yolande n’avait pu le sauver. Complice du nommé Gourneuve, affilié à la bande des Mastropieds, il sentait peser sur lui toutes les puissances du monde, et s’étonnait qu’on ne lui rivât point à la cheville le boulet des forçats.

L’inspecteur, homme taciturne, n’eut donc pas besoin de donner des explications qu’on ne lui demandait pas. Coloquinte héla une automobile où elle s’installa sur le strapontin après les avoir fait monter tous les deux.

Jamais Balthazar ne lui parut plus admirable que durant ce trajet. Maître de lui, insensible à toutes ces petites tracasseries du mauvais sort, qu’il devait ramener évidemment à leurs justes proportions d’épisodes quelconques, il s’intéressait aux spectacles de la rue et critiquait l’allure imprudente du chauffeur. Coloquinte les yeux humides, lui embrassa les mains.

À la Préfecture, ils montèrent deux étages.

— Baissez votre chapeau, souffla Coloquinte, et relevez le col de votre vêtement.

— Pourquoi donc ?

— Il y a toujours des photographes à la porte des juges.

— Et après ? dit Balthazar avec défi. Ils verront comment se tient un honnête homme.

— Ah ! monsieur Balthazar, dit-elle, vous êtes encore supérieur à ce que je croyais.