Page:Leblanc - La Vie extravagante de Balthazar, paru dans Le Journal, 1924-1925.djvu/24

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Deux petites gorgées, et M.  le directeur protesta :

— En prison ! Mais vous n’êtes pas en prison. Le fonctionnaire que je suis n’est pas un geôlier, mais un simple administrateur, en l’occurrence porte-parole de M.  le préfet.

Il était toute courtoisie et toute aménité. L’ordonnance de sa tête lui ordonnait une bienveillance continuelle. Un tel homme ne devait exprimer que des choses agréables.

Coloquinte laissa échapper un petit rire, Balthazar se détendit. Il n’était pas question de prison, ni de menottes, ni de boulet de fer à la cheville.

M.  le directeur huma un peu de porto, et s’étant assuré, grâce au jeu des miroirs, que sa raie ne remuait pas, il articula posément :

— Me sera-t-il permis de vous adresser, au nom de M.  le préfet, quelques questions, et voudrez-vous y répondre aussi nettement que possible ?

— Comment donc, monsieur le directeur !

— Eh bien, je vais procéder avec méthode. Vous habitez, n’est-ce pas, ainsi que le constate le rapport, au-delà des fortifications ?… la baraque des Danaïdes ?…

— Oui, monsieur le directeur, la villa des Danaïdes.

— La villa, en effet… c’est ce que je voulais dire. Et c’est dans cette villa que vous avez reçu, en octobre dernier, la visite d’un individu assez gros, très grand, qui est revenu à deux reprises ?

— À deux reprises.

— Il n’a pas dit son nom ?

— Il ne l’a pas dit.

— Quel était le but de ses visites ?

— Il cherchait l’occasion de faire du bien, et il m’a chargé de distribuer autour de moi de petits secours.

— C’est tout ?

— C’est tout.

— Vous n’avez plus entendu parler de lui ?

— Jamais, monsieur le directeur.

— Mais vous avez reconnu son portrait dans les journaux ?

— Je ne lis pas les journaux.

— Jamais ?

— Jamais…

— Le rapport donne en effet ce détail, et vous signale comme entièrement absorbé par vos travaux de professeur.

— Entièrement absorbé, déclara Balthazar d’un ton convaincu.

— Je vais donc vous renseigner. L’individu qui est venu vous voir n’était autre que Gourneuve, le chef de la bande des Mastropieds, et le sauvage assassin du comte de Coucy-Vendôme.

Balthazar sauta sur sa chaise.

— Que dites-vous, monsieur le directeur ? l’assassin ?… cet homme ? cet individu ?… il a tué le comte ?… C’est lui… l’ignoble assassin qui a mutilé ?…

— Lui-même, affirma M.  le directeur, toujours souriant. Le charitable anonyme qui vous confiait le soin de ses aumônes s’appelait Gourneuve, et, si vous ne lisez pas les journaux, vous n’êtes tout de même point sans connaître les terribles forfaits du criminel et de sa bande. L’arrestation de ces misérables constitue un des plus beaux exploits de notre police… Mais, avant de vous en dire davantage, j’oubliais deux petites formalités indispen-