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Il se redressa. Il eût posé devant tous les appareils du monde. Mais il n’y avait pas de photographes. Un huissier les accueillit et les introduisit dans un somptueux cabinet de travail orné d’un bureau ministre, au-dessus duquel se penchait une tête magnifiquement pommadée.

— Affaire Balthazar, monsieur le directeur.

— Faites asseoir, dit la tête. Mon porto est là, Joseph ?

— À côté de vous, monsieur le directeur.

— Merci. Laissez-nous.

Il continuait à lire un dossier. Sa main ornée de bagues balançait un lorgnon d’or.

Assis l’un près de l’autre, Balthazar et Coloquinte ne bougeaient pas. Les nattes de la jeune fille pointaient hors de sa toque. Anxieusement, elle scrutait le visage de Balthazar.

Il chuchota :

— Qu’est-ce que c’est que Gourneuve ?

— Gourneuve ?

— Oui, on m’accuse d’être son complice.

— Sais pas.

— Et la bande des Mastropieds ? Tu en as entendu parler ?

— Jamais.

— Moi non plus, fit-il, et je ne comprends pas pourquoi on me jette en prison.

Elle tira un flacon de sels de sa serviette et le lui offrit. Il refusa. Prêt à toutes les luttes, armé de pied en cap, il épiait l’attaque imminente de l’ennemi et regardait cette tête luisante de pommade. La raie, droite et régulière comme une avenue du parc, commençait à la nuque même, divisait, jusqu’au milieu du front, les plates-bandes bien nivelées de la chevelure, passait entre les sourcils touffus, et se prolongeait au milieu d’une barbe symétrique, taillée comme un double buisson.

M. le directeur releva cet ensemble harmonieux et le contempla dans deux miroirs, l’un planté devant lui comme un chevalet, l’autre accroché derrière lui, à la muraille, et qui reflétait les images absorbées par le premier.

Puis il savoura lentement deux gorgées de porto, et, sans quitter son verre, demanda :

— Vous êtes bien monsieur Balthazar ?

Le mot monsieur emplit Balthazar et Coloquinte de contentement.

— Oui, monsieur le directeur.

— Et mademoiselle ?

— C’est ma dactylographe. On nous a menés ici ensemble, pour des raisons que j’ignore, de même que j’ignore les motifs pour lesquels on me jette en prison.