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Page:Leblanc - La Vie extravagante de Balthazar, paru dans Le Journal, 1924-1925.djvu/29

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— Ne tardez pas, monsieur Balthazar, dit Coloquinte. Voilà bientôt deux semaines que vous attendez ce moment, et vous en êtes tout changé.

C’est par des données sentimentales et des arguments tirés du cœur que Balthazar avait tenté de résoudre l’embarrassante situation. De qui était-il le fils ? Vers laquelle des deux mères que lui offrait le destin allait-il diriger ses pas ? Incapable de s’y reconnaître parmi des ténèbres aussi épaisses, il plaçait tout simplement en face de lui les deux photographies et semblait attendre, ou bien qu’elles consentissent à répondre à ses questions, ou bien qu’un mouvement du cœur, comme il disait, lui désignât l’image maternelle.

Mais les deux femmes se taisaient, et des mouvements de même force et de même ampleur le poussaient tour à tour vers la mère qu’il contemplait. Toutes deux lui paraissaient également charmantes et dignes de tendresse.

Par bonheur, Balthazar n’avait pas à choisir qu’entre deux mères. Deux pères aussi le sollicitaient, et comment eût-il hésité entre le comte de Coucy-Vendôme, duc de Jaca, grand d’Espagne, et l’assassin Gourneuve ? Il acceptait volontiers d’être le fils de l’une ou de l’autre des deux femmes, mais se cabrait devant tout rapport de filiation avec l’un des deux hommes, et c’est ainsi que Mlle Ernestine Henrioux avait pris le pas sur la dompteuse Angélique.


Balthazar saisit la lourde serviette de Coloquinte.

— Je lui ferai d’abord mes offres de services, dit-il. Représentant de commerce, j’apporte mes cartes d’échantillons, épingles, rubans, jarretières, etc. Mais au lieu de les montrer, je lui tends sa photographie, et elle m’ouvre ses bras.

Coloquinte approuva. L’animation du professeur la remplissait de joie :

— Je suis bien heureuse, dit-elle, que la doctrine ne condamne pas les mouvements du cœur.

Balthazar entra dans la ville avec la bonne tenue d’un homme qui est maître de la situation. Un dé que tenaient, comme le bec d’un héron, les pinces de grands ciseaux noirs, lui indiqua la porte d’une modeste boutique précédée de trois marches qu’il escalada d’un coup, comme s’il montait à l’assaut. Une sonnette tinta. Et, tout de suite, il se dit, en soupirant d’aise :

— Elle n’est pas là.

L’absence de Mlle Henrioux lui donnait le temps d’essuyer la sueur de son front et de reprendre haleine. Il n’y avait dans