Page:Leblanc - La Vie extravagante de Balthazar, paru dans Le Journal, 1924-1925.djvu/31

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— Godefroi, dit-il.

Après une telle révélation, il était persuadé qu’elle allait lui ouvrir ses bras, dans une explosion de maternité soudaine.

— Godefroi, redit-il… le petit Godefroi…

Ils restaient plantés l’un en face de l’autre, elle effarée, cherchant à comprendre, Balthazar brûlant d’étreindre et d’embrasser celle qu’il appelait sa mère.

— Godefroi ? murmura-t-elle. Pourquoi ce nom ?

Brusquement, comme un poing qu’on lance, il lui mit sous les yeux sa photographie de jeune femme.

— Regardez… Regardez… ordonna-t-il. Comprenez-vous ?

Elle fut confondue.

— Ah ! est-ce possible ? Mon portrait… D’où cela vient ?… Mon portrait…

Il répondait ardemment :

— C’est mon père qui me l’a transmis… Le comte de Coucy-Vendôme… J’ai pour mission de vous retrouver… de vous demander pardon… Le petit Godefroi… vous vous souvenez ?… Le petit qu’on vous a pris ?

Il gardait son expression implacable et menaçante. Il avait l’air de dire :

— Sois ma mère, ou je te tue.

Aucune des deux solutions ne semblait ravir la vieille dame. Que se passait-il en elle ? Est-ce que ce nom de Godefroi, qu’elle ignorait peut-être, ne la déroutait pas ? Se croyait-elle vraiment en face de son fils ? Elle demeurait troublée et renfrognée, ce qui n’empêchait pas Balthazar de la trouver charmante, jeune, pleine de gentillesse et de séduction, et de penser au plaisir que ce serait de marcher entre elle et Coloquinte dans les rues de Montmartre.

Un bruit de roues qui bondissaient sur le pavé rompit le silence. Une voiture s’arrêta. La sonnette retentit, et une cliente à cheveux blancs, couverte de dentelles noires, entra, d’un pas qui frétillait.

— Ma petite Henrioux, je viens en courant… quelques emplettes… mais, d’abord, des nouvelles de votre santé, ma petite Henrioux.

— Ah ! madame la marquise, c’est trop de bonne grâce.

— Du tout, du tout. Et puis, nous avons à parler de la crèche, de notre tombola et de tous nos comités.

Une cliente… une marquise… Balthazar avait livré passage à Mlle  Henrioux.

— Excusez-moi, madame la marquise, dit-elle. Une seconde seulement…

Il se sentit perdu. On allait l’expédier. L’écroulement de ses rêves lui rendit son véritable visage, et il fut si triste que la voix de Mlle  Henrioux se fit moins dure :

— J’ai mes fournisseurs. Alors, n’est-ce pas, vous admettrez bien…

Oui, elle avait ses fournisseurs, ses clients, ses œuvres de bienfaisance, ses amis de l’église et du château, sa réputation, tout un passé honorable. Quelle place y avait-il pour lui au milieu de tout cela ? Allait-elle renoncer à tant de petites habitudes délicieuses qui composaient sa vie présente, se rejeter dans le drame et l’incertitude, remuer les cendres, et rallumer son pauvre cœur éteint ?

Il baissa la tête et rentra la photographie dans la serviette de cuir.

— Pardonnez-moi, murmura-t-il… je n’aurais pas dû agir si brusquement… Adieu…