Page:Leblanc - La Vie extravagante de Balthazar, paru dans Le Journal, 1924-1925.djvu/39

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— Et puis, tenez, tenez, dit-elle, voilà l’inspecteur qui vous a mené l’autre jour à la Préfecture de police, il les rejoint. Ils se concertent tous les cinq ! Mon Dieu, qu’est-ce que ça signifie ?

Balthazar alluma sa pipe et s’en alla.

Rien ne pouvait le mettre en alarme. Que lui importaient les pressentiments puérils de Coloquinte ?

Elle ne lâcha pas prise. Elle ne voyait qu’intrigues et conspirations ténébreuses. De toutes parts des personnages louches envahissaient la cité des Baraques.

Un soir, elle entra suffoquée.

— Il faut fuir… il le faut… Quelqu’un a parlé… un Anglais en chapeau de paille… il m’a dit que vous étiez menacé… des ennemis féroces… Il vous offre vingt mille francs si vous voulez fuir… trente mille, même qu’il a dit, trente mille de la part de l’Angleterre… Il attend la réponse au bout du sentier…

Balthazar, furieux, serra les poings, et il lançait des regards si courroucés qu’elle n’osa poursuivre.

Ils se virent moins. Il évitait celle qui troublait sa quiétude avec ses yeux chargés d’angoisse. À la fin, il se réfugia aux Lions de l’Atlas où il demeura trois jours entre Angélique et Mlle  Ernestine.

Mais, le dimanche suivant, qui était le dimanche fixé par le poète Beaumesnil, Coloquinte vint supplier Balthazar de ne pas retourner aux Danaïdes.

— N’y allez pas, monsieur Balthazar, les dangers sont immenses. Vous avez des ennemis féroces. Il y a contre vous un complot, ou plutôt toute une série de complots qui se relient les uns les autres et dont vous serez victime.

— Tu divagues ! protesta Balthazar, quelque peu troublé.

Elle exposa son argument suprême.

— Oubliez-vous, monsieur Balthazar, qu’aujourd’hui, c’est la fête des Baraques, et que tout le monde est parti déjeuner sur l’herbe, parents et enfants. La cité sera vide. Or, c’est précisément aujourd’hui que l’on essaie de vous retenir aux Danaïdes ! Le piège n’est-il pas certain ?

Elle parlait avec une éloquence désespérée et en joignant des mains qui tremblaient. On eût dit qu’une horde de forbans s’attaquait à son maître bien-aimé.

— Je vous en prie, monsieur Balthazar, croyez-moi… je ne me trompe pas… Quand il s’agit de vous, il y a quelque chose en moi, qui devine, qui pressent… Des pieds à la tête, c’est un frisson qui me secoue…

Mlle  Ernestine fléchit la première. Angélique, femme de tête et bonne conseillère, opina également pour la prudence. À son avis, Balthazar ne pouvait refuser l’entrevue, mais il lui fallait s’entourer de toutes les précautions nécessaires.

— Comment ? dit-il, ébranlé.

— Eh ! mon Dieu, que Fridolin t’accompagne ! Avec Fridolin, tu peux être tranquille. Pas d’agression possible ! Pas d’embûches ! Fridolin vaut un régiment.

La proposition ravit tout le monde. Balthazar s’y rallia ainsi que Coloquinte, qui s’était mise à rire, dans une détente soudaine de ses nerfs.

— Oui… c’est cela… Mme  Angélique a raison… Plus rien à craindre… M.  Fridolin vaut un régiment.