Page:Leblanc - La Vie extravagante de Balthazar, paru dans Le Journal, 1924-1925.djvu/40

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L’homme-canon ne put retenir ses larmes. Des sanglots le suffoquaient.

— À la vie, à la mort, mon vieux Balthazar, et tout de suite à la besogne, hein ? On va leur-z’y dire deux mots, à tous ces bougres-là. Y en a combien ? Douze ? Treize ?

Il épingla sur son maillot rose toute une brochette de médailles réservée aux occasions solennelles et enfila son pardessus moutarde. Angélique munit Balthazar d’un couteau à ressort. Coloquinte s’inclina et furtivement lui embrassa la main.

Les deux hommes se mirent en expédition sans délai, et, tout de suite, ils prirent une allure d’Indiens sur la piste de guerre. Fridolin, qui portait des espadrilles à semelles de corde, balançait son torse et marchait avec la souplesse d’un grand fauve. Balthazar se réjouissait d’avoir du caoutchouc à ses talons et de ne faire aucun bruit qui pût attirer l’attention. Dans sa poche, il caressait le manche du couteau à ressort.

Ils gagnèrent ainsi, sans alerte, la cité des Baraques.

— Tu vois, Fridolin, souffla Balthazar, tout le monde est en promenade… un vrai désert…

— Tant mieux. S’il y a du grabuge, pas de spectateurs.

Ils redoublèrent de précautions, n’avançant qu’après avoir fouillé du regard les coins propices à une embuscade.

Mais, aussitôt en vue des Danaïdes, Balthazar défaillit.

— On est entré, dit-il.

— Qu’est-ce que tu en sais ?

— Des traces de pas…

— Bêtises ! affirma Fridolin. Ouvre la porte.

— Oui… oui… On va se barricader.

— J’connais qu’une barricade, celle-là, déclara l’homme-canon en se frappant la poitrine.

Il enleva son pardessus moutarde et se planta sur le seuil, face à l’ennemi. Ses muscles bombaient sous le maillot de coton rose.

— À quelle heure qu’il vient, ton poète ?

— Quatre heures.

— Encore vingt-cinq minutes.

Le professeur s’inquiéta.

— Mais tu ne vas pas le frapper, lui ?

— Bien sûr que non. Il s’agit des autres… des douze malandrins qui te guettent.

Balthazar se rassurait. Décidément, l’homme-canon valait un régiment. Quelle puissance ! Quelle sérénité !

Dix minutes s’écoulèrent. Aucun bruit. Aucune silhouette.

— Faudrait pourtant pas qu’ils nous faussent compagnie, marmonna Fridolin. C’est pas une blague à faire. Je suis venu pour cogner.

— Les voilà, gémit Balthazar, en s’asseyant.

— Où ? J’vois rien.

— À gauche, au détour.

— T’as raison. Ils s’amènent. Ah ! zut alors, c’est pas rigolo.

— Quoi ?

— Ils sont qu’deux ?

— Oui, les deux M. T. P. Ils viennent… ils viennent… J’appelle au secours, hein ?

Fridolin tourna la tête une seconde et le foudroya du regard.

— Pas un cri ! Sinon…