Page:Leblanc - La Vie extravagante de Balthazar, paru dans Le Journal, 1924-1925.djvu/47

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L’arrivée d’une troupe les sépara. Les guerriers, qui devaient être des ennemis, reconnurent la jeune fille :

— Hadidgé !… Hadidgé !…

Quelques-uns d’entre eux se prosternèrent à ses genoux. Puis on se mit en route suivant une direction contraire à celle des fugitifs, dont le nombre devenait de plus en plus grand.

La jeune fille n’avait pas lâché la main de son sauveur. Si peu qu’il pût comprendre à cette rafale d’événements, il entrevoyait confusément que la bonne cause était perdue, que Hadidgé se trouvait au milieu des partisans de la Catarina, que celle-ci avait remporté la victoire, et que lui, en fuyant le combat, il trahissait son pays et son père de la façon la plus indigne.

Mais la jeune fille lui avait laissé aux lèvres le goût d’un baiser qui le rendait docile comme un enfant.

Elle avait le visage le plus doux qui fût et une expression de bonté ineffable. Les guerriers, en la regardant, oubliaient leurs fatigues et prenaient un air de mansuétude. Elle marchait avec un sourire espiègle sur le visage atroce des cadavres et, du bout d’une fine épée qu’elle tenait de sa main libre, s’amusait quelquefois à perforer l’œil d’un blessé. Balthazar, soulevé d’horreur, ne savait que penser d’elle.

La bataille finissait. Il n’y avait plus qu’un foyer de résistance sur un monticule où flamboyaient des sabres et où crépitaient les dernières cartouches.

Ils en firent le tour. Mais le geste formidable d’un guerrier qui combattait là-haut ouvrit une brèche dans les rangs de ses agresseurs, et Balthazar distingua la silhouette de son père. Alors il comprit l’étreinte de Hadidgé, s’éloigna, poursuivi par ses reproches furieux, franchit des remparts de blessés et de moribonds et se jeta dans la fournaise.

Son intervention fixa le dénouement, en ce sens que Revad pacha dut renoncer à tout espoir de salut, dès l’instant où il lui fallait défendre et protéger son fils. Balthazar, à genoux entre lui et un quartier de roc, se faisait aussi petit que possible, et tel ce fils d’un roi de France qui signalait les coups dirigés contre son père, il criait :

— Gardez-vous à droite… À gauche, à gauche, mon père.

Le pacha succomba et fut rapidement ficelé, ainsi que ce monsieur en pardessus moutarde dont personne ne chercha à s’expliquer la présence en ces lieux.