Page:Leblanc - La Vie extravagante de Balthazar, paru dans Le Journal, 1924-1925.djvu/56

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Laissons dans l’ombre ce qui se passa depuis le jour où j’eus l’audace de jeter les yeux sur ma reine, jusqu’au jour où, dans une crise de désespoir et de folie dont je dois être tenu pour responsable, nous prîmes la fuite, elle et moi. Et ne parlons pas non plus de mes cinq duels avec des officiers du roi et des tentatives d’assassinat dont je fus victime, non plus des persécutions que les deux coupables eurent à subir, et non plus de leur mariage et de leur bonheur — mais seulement de l’événement tragique par lequel s’exerça, trois ans plus tard, la vengeance du roi : notre enfant, le petit Rudolf, âgé de quelques mois, était enlevé.

Acte abominable qui ne laissa aucune trace. C’était la fin navrante de la belle aventure et le début d’un chagrin que la reine ne supporta pas. Elle se mura vivante dans l’ancien hôtel qu’elle possédait à Paris, et nul ne l’a plus revue que sa vieille nourrice qui la soigne, et que moi, l’auteur de tous ses maux. C’est, à n’en point douter, votre mère, Rudolf. Vous pourrez vous mettre à genoux devant elle comme devant une sainte.

Beaumesnil s’exprimait avec emphase, comme s’il se fût confessé de fautes qu’il estimait loyal de juger sévèrement. Il continua :

— Six ans s’écoulèrent encore. Le roi mourut. À son lit de mort, il déclara que l’enfant vivait et qu’il avait été marqué à la poitrine de trois lettres : M. T. P. Cette déclaration me fut transmise, mais, hélas sans autre renseignement qui la précisât et m’aidât à retrouver notre fils. Je m’y employai cependant, Rudolf, et de la façon la plus tenace. Mais, durant vingt années, le secret des trois lettres mystérieuses se déroba. C’est une lettre anonyme, reçue en Norvège, il y a quelques mois, qui m’apprit dans quelle retraite et sous quel nom vivait le fils de la reine. Aussitôt, je vous écrivis, annonçant mon arrivée, et, à l’heure fixée, j’étais là. Une seconde fois, vous aviez été enlevé, Rudolf ! Le reste, Coloquinte vous l’a peut-être déjà dit. Grâce à mes relations, je sus où le destin vous conduisait. Un de mes amis me prêta son yacht. Coloquinte et moi, nous débarquâmes là-bas, le surlendemain de la bataille, et, en quelques jours, nous avions la chance de découvrir votre prison, de nous entendre avec le chef des soldats, et de vous sauver, Rudolf.

Beaumesnil se rapprocha et saisit les mains de Balthazar entre les siennes.