Aller au contenu

Page:Leblanc - La Vie extravagante de Balthazar, paru dans Le Journal, 1924-1925.djvu/59

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Peut-être M. Beaumesnil voudra-t-il vous présenter comme son fils ? Peut-être vous conduira-t-il près de la reine ?

Il répondit avec détachement :

— Je ne crois plus, Coloquinte, que mon bonheur dépende de la découverte de mon père et de ma mère.


L’hôtel, que la reine tenait d’un héritage, était situé le long des Invalides, et précédait un grand jardin au fond duquel s’élevait un pavillon où la recluse habitait avec sa vieille nourrice. Les salons, en dehors des chaises louées pour la soirée, ne contenaient pas un seul meuble, toutes les œuvres d’art qui les ornaient jadis ayant été vendues peu à peu par le grand poète que ses goûts somptueux avaient déjà ruiné plusieurs fois.

Il y avait foule. Tout ce qui compte à Paris se bousculait dans les salles et dans l’immense galerie où s’allongeaient les tables du buffet. Un héraut d’armes proclamait les noms des invités, leurs titres de noblesse et de gloire, et le nom des personnages représentés.

Beaumesnil avait revêtu, disait-il, le costume même que portait Benvenuto Cellini à la cour de François Ier : mantelet de velours grenat et casaquin de satin noir à crevés, fraise haute où s’engonçait un visage rose agrémenté d’une barbe en pointe. Le toquet à la main, la rapière battant ses courtes cuisses moulées dans de la soie gris perle, il décochait aux nouveaux venus des madrigaux en forme de rondels, de triolets ou d’odelettes.

Le héraut d’armes annonça :

— M. Rudolf, chevalier d’Artagnan… Mlle Coloquinte, marchande de frivolités.

Balthazar maugréait sous un feutre à plumes et sous une large cape de mousquetaire que relevait par-derrière le fourreau de son épée. Cette cape, en s’ouvrant, laissait voir un justaucorps en peau de chamois où pointaient les os d’une poitrine anguleuse.

Tout de suite, Coloquinte, marchande de frivolités, attira l’attention. Le fichu Marie-Antoinette et la capeline de paille lui allaient à merveille. Aucune affectation dans sa tenue, qui était un mélange de réserve et de gaîté. Beaumesnil la promena parmi les groupes.

Le champagne coulait. La foule chantait, au rythme de l’orchestre. Il courait un air de griserie lourde et un certain besoin de vulgarité. Aux fêtes de Beaumesnil, on s’attendait toujours à quelque scandale.

Balthazar se tenait seul, dans un coin de la galerie, d’où il entendait, dominant le tumulte, la voix caverneuse du poète. Sou-