Page:Leblanc - La Vie extravagante de Balthazar, paru dans Le Journal, 1924-1925.djvu/60

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dain, il le vit qui montait sur une partie de la table que l’on avait débarrassée et transformée en estrade. Beaumesnil se mit à hurler la scène principale d’un drame qu’il avait écrit sur Benvenuto Cellini. Il se démenait, frappait du pied, jetait feu et flammes, et criait son amour pour une certaine Scozzone, jeune fille qu’il aimait éperdument.

À la fin, cet amour prenait de telles proportions que Benvenuto Cellini se décida au rapt. Il sauta donc de l’estrade et s’ouvrit un chemin dans la foule. Coloquinte était là. Il s’exclama :

— La Scozzone ! La Scozzone !

Et, brusquement, malgré la résistance de Coloquinte, il la chargea sur son épaule, et s’enfuit par les vestibules avec sa proie.

Les invités riaient de la plaisanterie et se tournaient vers les portes, dans l’attente de sa réapparition. Suffoqué, indécis, Balthazar cherchait à comprendre. Que signifiait cette comédie ?

Lui aussi, il regardait les portes. Il parcourut les galeries et les vestibules. On recommençait à manger et à boire. Il ôta son feutre à plume et s’essuya le front. Il dégouttait de sueur et se trouvait si faible qu’il tomba sur un canapé.

Deux messieurs causaient, non loin de lui, et l’un d’eux disait :

— Quel cabotin que ce Beaumesnil ! Du tapage, le plus possible de tapage autour de sa personne… Il faut bien vivre et gagner de l’argent !…

L’autre prononça :

— Elle est gentille, cette petite qu’il portait, ou plutôt qu’il enlevait. Car je parie bien qu’on ne les reverra pas de sitôt.

— Oh ! ça, il est capable de tout ! déclara le premier. Avec l’aide de son chauffeur, vous savez, ce Dominique à tête de bandit, il l’aura jetée dans son auto et conduite jusqu’à son petit rez-de-chaussée de Neuilly…

Balthazar se dressa et se mit à courir comme un fou. Sa cape de mousquetaire battait de chaque côté de ses épaules comme des ailes de chauve-souris. Vainement, il essayait de dégainer son épée.



X

Aimer… Tuer


Dans la cour, il se heurta aussitôt à un enchevêtrement de voitures qui amenaient de nouveaux invités ou s’en venaient pour les premiers départs. Il interrogea. On ne savait rien. D’après la disposition des lieux, il se rendit compte que l’automobile de Beaumesnil avait pu l’attendre devant une sortie particulière. En ce cas, comment le retrouver ?

Il rentra. À l’intérieur, on dansait sans plus s’occuper du maître de maison et de ses caprices. Balthazar trépignait d’impatience et de fureur. N’ayant pu extraire son épée, il en agitait le fourreau avec des gestes terribles. La plume de son feutre, à moitié détachée, lui barrait le visage, et il s’empêtrait dans un de ses éperons qui avait glissé sous sa botte. Il lui semblait que les choses vacillaient à l’entour et qu’un cataclysme ravageait l’univers. Pour la première fois, l’idée l’effleura qu’il y avait peut-être, tout de même, des aventures, et que personne n’est à l’abri de ces tempêtes épouvantables.

— Vous ne les avez pas vus ? demandait-il, en empoignant les domestiques par le bras.

— Qui, monsieur ?

Il ne répondait point. On le prenait pour