Page:Leblanc - La Vie extravagante de Balthazar, paru dans Le Journal, 1924-1925.djvu/74

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Une semaine délicieuse s’écoula. Coloquinte ne venait arranger les Danaïdes qu’aux heures où elle ne risquait pas de rencontrer Balthazar, mais celui-ci se passait fort bien de sa présence. Libre, insouciant, il s’en allait et trouvait, sur les fortifications ou dans le bois de Boulogne, mille façons de goûter la vie. L’air avait une saveur spéciale. L’ombre et le soleil des qualités particulières.

— Tu n’imagines pas, Coloquinte (il continuait ses discours à la jeune fille), combien le temps me semble rapide. Je ne m’intéresse à rien, et pourtant je sais que pas une seule minute de mes journées n’est perdue. Ah ! la philosophie quotidienne ne m’a jamais donné une telle impression de plénitude, et je te conseille de t’affranchir peu à peu d’une doctrine dont la rigueur a ses dangers.

Une lettre de Yolande mit fin à cette période de nonchalance agréable.

« Je n’ai jamais douté de vous, mon Balthazar. Mais les termes par lesquels vous m’annoncez votre victoire rehaussent encore le niveau de mes rêves. La vie sera belle pour les orgueilleux amants que nous sommes… »

Balthazar avisa officiellement M. Rondot qu’il se présenterait le mercredi suivant, à quatre heures du soir. Et, le matin de ce mercredi, il alla prévenir Coloquinte de sa décision.


Dans le petit préau qui bordait le hangar, elle passait à l’encaustique la caisse qui lui servait de commode. Elle écouta la communication de Balthazar et continua son travail, mais la brosse lui tomba des mains, et ses genoux fléchirent jusqu’à toucher le sol. Accroupie, elle montrait ses bas de coton noir reprisés et de pauvres chaussures vingt fois ressemelées.

Balthazar se promenait, le dos pensif. Il lui dit :

— Tu sais que M. Vaillant du Four m’a légué des billets de banque. J’en ai trouvé dix. Dix mille francs !

— Quelle chance ! déclara Coloquinte qui s’acharnait après sa caisse. M. Rondot ne pourra plus prétendre que vous êtes un coureur de dot.

— N’est-ce pas ? En outre, j’ai lu cinq paquets de documents provenant de M. Vaillant du Four ou des personnes qui lui avaient confié leur enfant. Ils sont irréfutables. À tel point irréfutables qu’il est impossible de découvrir la vérité et de savoir, les preuves étant égales, de qui je suis le fils ; mais qu’il est impossible, d’autre part, de me refuser le nom que j’au-