Page:Leblanc - La Vie extravagante de Balthazar, paru dans Le Journal, 1924-1925.djvu/77

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Ils s’étaient arrêtés à quelque distance de la sortie, et ils demeuraient immobiles, plantés l’un devant l’autre, lui la regardant avec surprise, elle baissant la tête et tâchant de rentrer ses larmes.

— Qu’est-ce que tu as ? répéta-t-il, confondu. Il n’y a aucune raison pour que tu pleures.

— Aucune, monsieur Balthazar.

— N’est-ce pas ? Nous parlons d’un événement heureux, de mon mariage, de Yolande. Par conséquent…

Il s’interrompit. Les paroles qu’il prononçait lui semblaient contraires à une vérité confuse qui palpitait au fond de lui. Il se souvenait que, dans le parc de Saint-Cloud, c’était précisément de Yolande qu’ils s’entretenaient lorsque la jeune fille avait pleuré.

— Voyons, ma petite Coloquinte, tu sais pourtant que ma décision ne touche en rien nos rapports, et que notre vie continuera comme avant. Tu m’as donné trop de preuves de dévouement pour que j’admette jamais…

Elle murmura :

— Ce n’est pas cela… je vous jure…

— N’est-ce pas ? dit-il, car, je te le répète, là-dessus, je serai intransigeant, et je suis certain que Yolande comprendra… j’en suis certain… elle comprendra que si elle m’obligeait à choisir…

Coloquinte l’implora d’un geste :

— Je vous en supplie, monsieur Balthazar, ne parlez pas de ce qui ne peut pas arriver. Vous avez promis à Mlle  Yolande de lui consacrer tous vos efforts, et vous avez déjà pour elle accompli de si belles choses !

— Pour elle ! s’écria-t-il, presque indigné. Mais tu es folle. Elle n’a pas été la cause d’un seul de mes actes.

— N’importe, monsieur Balthazar, votre mariage amènera, que vous le vouliez ou non, des changements…

— Tu es folle ! tu es folle ! répéta-t-il. Alors, tu t’imagines que je me ferais le complice, à ton égard… que je consentirais… Mais, réfléchis, Coloquinte, entre nous, il y a un ensemble de liens, de souvenirs…

— Entre nous, monsieur Balthazar, il y a la vie.

— Justement, Coloquinte, il y a la vie qui nous rapproche.

— Qui nous sépare, au contraire.

— Tais-toi, tais-toi.

Des idées inconcevables l’assaillaient. Il pensait à des choses inouïes. Il discernait, dans les ténèbres où elle restait toujours cachée, une Coloquinte inconnue, et il se voyait lui-même tout différent de ce qu’il était en face d’elle, jusqu’ici.

Elle leva ses yeux humides. Il trembla sur ses jambes et, apercevant tout à coup