Page:Leblanc - La frontière, paru dans l'Excelsior, 1910-1911.djvu/130

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frontière. Sa désertion était préparée, soutenue. Il savait le chemin sûr qu’il devait prendre.

— Par qui savait-il cela ?

Philippe baissa la tête et, les yeux à demi clos, il murmura :

— Par mon père.

— Ce n’est pas vrai ! proféra le vieux Morestal, rouge de colère. Ce n’est pas vrai ! Moi, j’aurais préparé… moi !…

— Voici le papier que j’ai trouvé dans la poche du soldat Baufeld, dit Philippe en tendant une feuille à Le Corbier. Voici en quelque sorte le plan de l’évasion, le chemin que doit suivre le fugitif, l’endroit exact où il doit passer la frontière pour échapper aux surveillants.

— Qu’est-ce que tu dis ? Qu’est-ce que tu oses dire ! Une correspondance entre moi et ce misérable !

— Les deux mots « sentier d’Albern » sont de votre main, mon père, et c’est par ce sentier d’Albern que le déserteur a débouché en France. Cette feuille est une de vos feuilles de papier à lettres.

Morestal avait bondi.

— Et tu l’as prise dans cette corbeille, où elle était déchirée et froissée ! Tu as fait ce métier-là, toi, mon fils ! C’est toi qui as eu l’infamie…

— Oh ! mon père.

— Alors, qui ? Réponds.

— C’est le soldat Baufeld qui me l’a remise avant sa mort.

Morestal était debout, face à Philippe, les bras serrés sur sa poitrine, et, loin de se défendre contre les accusations de son fils, il paraissait plutôt s’adresser à un coupable.

Et Philippe le regardait avec angoisse. À chacun des coups qu’il portait, à chacune de ses phrases, il épiait sur le visage de son père la marque de la blessure. Telle veine qui se gonflait aux tempes du vieillard le bouleversait. Il s’effarait de voir des filets de sang entremêlés sur le blanc des yeux. Et il lui semblait, à tout instant, que son père allait tomber comme un arbre