Page:Leblanc - La frontière, paru dans l'Excelsior, 1910-1911.djvu/161

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apaiser, et il n’était pas homme à se chercher des excuses.

— Allons, viens, dit la mère.

Elle le conduisit dans une autre pièce du second étage, plus éloignée que la première de la pièce où Marthe habitait.

— Victor t’apportera ta valise et te servira ici, c’est préférable. D’ailleurs, je vais avertir ta femme.

— Donne-lui cette lettre que j’ai préparée, dit-il. Je lui demande simplement une entrevue, une explication. Elle ne peut s’y refuser.

Ainsi donc, en cette journée du mardi, la famille Morestal se retrouva sous le même toit, mais dans quelles conditions désolantes ! Et quelles haines divisaient ces êtres que réunissait auparavant une si vive affection !

Philippe sentit le désastre d’une façon pour ainsi dire visible et palpable, durant ces heures où chacun des blessés demeurait enfermé, comme dans une chambre de torture. Rien n’eût pu le distraire de son obsession, pas même la crainte de cette guerre maudite qu’il n’avait pu conjurer.

Et pourtant les nouvelles lui parvenaient à tout moment, menaçantes, comme les nouvelles d’un fléau qui gagne de proche en proche, malgré la distance et malgré les océans.

À midi, ce fut Victor qui, à peine entré avec son plateau, s’exclama :

— Monsieur Philippe connaît le télégramme d’Angleterre ? Le premier ministre anglais a déclaré devant le Parlement que, s’il y avait la guerre, une armée de cent mille hommes débarquerait à Brest et à Cherbourg. C’est l’alliance ouverte.

Plus tard, il entendit le fils du jardinier, Henriot, qui arrivait de Saint-Élophe à bicyclette, et qui criait à son père et à Victor :

— On se révolte à Strasbourg ! il y a des barricades ! une caserne a sauté !…