Page:Leblanc - La frontière, paru dans l'Excelsior, 1910-1911.djvu/178

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as une lettre de moi entre les mains, t’offrant une explication. Tu ne réponds même pas ! Soit ! j’ai envers toi des torts irrémédiables. Par ma faute, toute notre vie est brisée. Ton attitude jusqu’ici me prouve que jamais tu ne me pardonneras… Alors, de quel droit me réclames-tu des comptes ?

Elle redit à voix basse, les yeux fixes :

— Tu veux déserter…

— Oui.

— Est-ce croyable ! Je connaissais tes idées contre la guerre… toutes les idées de tes livres… qui sont les miennes… Mais je n’avais jamais réfléchi à cela… Tu ne m’en as jamais parlé… et puis non… je n’aurais pu admettre…

— Il faut pourtant que tu admettes, Marthe.

Il se dirigea vers la porte. De nouveau elle surgit devant lui.

— Laisse-moi passer, dit-il.

— Non.

— Tu es folle !

— Écoute… Philippe…

— Je n’écouterai rien. L’heure n’est pas aux querelles. J’ai résolu de partir. Je partirai. Ce n’est pas un coup de tête. C’est une détermination prise dans le silence et le calme. Laisse-moi passer.

Il voulut dégager la porte. Elle le repoussa, soudain secouée d’une énergie d’autant plus farouche qu’elle sentait son mari plus inflexible. Elle n’avait que quelques minutes, et c’était cela qui l’effrayait. En quelques minutes, il fallait que par des phrases, de pauvres phrases jetées au hasard, elle gagnât la bataille, et contre un ennemi dont elle savait la fougue et l’obstination.

— Laisse-moi passer, répéta-t-il.

— Eh bien, non, non, s’écria-t-elle, tu ne déserteras pas ! Non, tu ne feras pas cette chose infâme ! Il y a des choses qu’on ne fait pas… Celle-là, Philippe, est monstrueuse ! Tiens, veux-tu que je te dise, Philippe ?…

Elle s’approcha de lui, et sourdement :

— Écoute, Philippe… écoute cet aveu… Philippe, ta conduite de dimanche, ta