Page:Leblanc - La frontière, paru dans l'Excelsior, 1910-1911.djvu/183

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suprême, elle fit reculer son mari, et, haletante, désespérée :

— Un mot ! un mot encore ! implorait-elle. Écoute, Philippe, ne fais pas cela… Et, si tu ne le fais pas, eh bien, je suis capable… Oh ! c’est horrible de me contraindre ainsi… Pourtant, je ne veux pas que tu t’en ailles… Écoute, Philippe. Tu connais mon orgueil, ma rancune, et combien j’ai souffert, combien je souffre à cause de Suzanne. Eh bien, j’oublierai tout. Ce n’est pas le pardon que je t’offre, c’est l’oubli. Jamais un seul mot ne rappellera le passé… jamais une allusion… je te le jure ! Mais ne déserte pas, je t’en prie, Philippe, ne fais pas cela.

Elle s’accrochait à ses vêtements et se pressait contre lui en bégayant :

— Non, ne fais pas cela… Que tes enfants n’aient pas cette honte ! Les fils d’un déserteur… Oh ! je t’en conjure, Philippe, reste, nous partirons ensemble… et la vie recommencera comme avant…

Elle se traînait à ses pieds, humble et suppliante, et elle avait l’impression affreuse que ses paroles ne servaient à rien. Elle se heurtait à une idée, rivale contre laquelle toute sa force se brisait. Philippe ne l’entendait point. Aucune pitié même ne l’inclinait vers elle.

Calmement, d’un geste irrésistible, il étreignit les poignets de Marthe, les réunit dans une seule de ses mains, de l’autre ouvrit la porte, et, rejetant sa femme en arrière, il s’enfuit.

Marthe eut une défaillance. D’ailleurs, la valise était là, et elle crut qu’il reviendrait la chercher. Mais, comprenant son erreur, elle se leva subitement et se mit à courir.

— Philippe ! Philippe ! criait-elle.

Comme lui, elle songeait à une intervention étrangère, au vieux Morestal, que les clameurs attireraient et que Philippe trouverait sur son chemin.

— Philippe ! Philippe !

Elle s’effarait, ne sachant où le rejoindre. Dans le jardin, personne. Elle revint vers le salon, car il lui semblait percevoir un bruit de voix. De fait, elle vit un sergent et un soldat qui traversaient la terrasse en hâte, conduits par le fils du jardinier.

— Suivez-moi, ordonnait le gamin…