Page:Leblanc - La frontière, paru dans l'Excelsior, 1910-1911.djvu/186

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— Crebleu ! Mais aussi, cet animal-là, on ne voyait que lui, au premier rang !… Impossible de le retenir…

— Ah ! pour ça, ricana l’adjudant, il a une façon à lui de déserter devant l’ennemi… Il fonce en plein dessus, le bougre !

Mais Mme Morestal s’effara.

— Un blessé ! Je vais préparer des bandes, la boîte de pharmacie… Nous avons ce qu’il faut… Tu viens, Marthe ?

— Oui, mère, répondit Marthe, qui ne bougea point.

Elle ne quittait pas son mari des yeux et cherchait à lire sur le visage de Philippe les sentiments qui l’agitaient. Elle l’avait vu d’abord rentrer dans le salon et franchir le vestibule comme s’il pensait aux issues encore libres du jardin. L’irruption des chasseurs l’ayant refoulé, il s’entretint à voix basse avec plusieurs d’entre eux et leur donna du pain et un flacon d’eau-de-vie. Puis, il retourna vers la terrasse. Son inaction, au milieu des allées et venues, le gênait visiblement. Deux fois, il consulta l’horloge du salon, et Marthe devina qu’il songeait à l’heure du train et au temps qu’il lui fallait pour gagner la station de Langoux. Mais elle ne s’alarma point. Chaque seconde tissait autour de lui des liens qui l’attachaient à son insu, et il semblait à Marthe que les événements n’avaient pas d’autre but que de rendre impossible le départ de son mari.

La résistance, cependant, s’organisait. Rapidement, les chasseurs apportaient les sacs de plâtre, que le capitaine faisait aussitôt placer entre les deux balustres. Chacun des sacs était de la hauteur et de la longueur correspondant aux dimensions des intervalles, et laissait, de chaque côté, un espace vide, une meurtrière. Et le vieux Morestal avait même eu le souci d’assortir la couleur de la toile à celle du parapet, afin que l’on ne pût soupçonner de loin qu’il y eût là un ouvrage de défense derrière lequel des tireurs se dissimulaient.

À droite et à gauche de la terrasse, le mur d’enceinte qui fermait le jardin était l’objet des mêmes soins. Le capitaine donna l’ordre aux soldats de ranger des sacs au pied de ce mur pour en rendre le faîte accessible.