Page:Leblanc - La frontière, paru dans l'Excelsior, 1910-1911.djvu/50

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choses, une idée le dominait : s’en aller, ne plus voir Suzanne, en finir avec ces histoires dont il sentait l’odieux et le ridicule.

À son tour, il reprit rapidement le chemin de la maison. Par malheur, comme il ne connaissait point d’autre issue pour s’échapper, il traversa le vestibule. La porte de la salle à manger était ouverte. Il aperçut la jeune fille courbée sur une chaise et la tête entre ses mains. Elle pleurait.

Il ne savait pas ce qu’il y a de factice dans les pleurs d’une femme. Il ne savait pas non plus le danger des larmes pour celui qui s’émeut à les voir couler. Mais l’eût-il su qu’il fût resté quand même, car la pitié de l’homme est infinie.


VII

— Voilà, dit-elle au bout de quelques minutes, l’orage s’est éloigné.

Elle releva son beau visage qu’un sourire illuminait déjà.

— Pas de noir aux yeux, ajouta-t-elle gaiement, pas de rouge aux lèvres… Qu’on se rende compte… Ça ne déteint pas.

Cette mobilité d’humeur, ce désespoir qu’il avait senti réel et que suivait une allégresse dont il sentait l’égale sincérité, tout cela confondit Philippe.

Elle se mit à rire.

— Philippe ! Philippe ! vous n’avez pas l’air de comprendre grand’chose aux femmes… et moins encore aux jeunes filles.

Elle se leva et passa dans la pièce voisine, qui était sa chambre, comme il put le voir aux rideaux blancs et à l’arrangement des meubles, et elle revint avec un album où elle lui montra en première page, la photographie d’un enfant qui sanglotait.

— Regardez, Philippe. Je n’ai pas changé. À deux ans comme aujourd’hui, j’avais de gros chagrins, et des yeux qui coulaient comme des fontaines.

Il feuilleta l’album. C’était Suzanne à tous les âges. Suzanne enfant, Suzanne petite