Page:Leblanc - La frontière, paru dans l'Excelsior, 1910-1911.djvu/71

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une admiration que n’altérait aucune envie :

— Tu es magnifique, Suzanne ! Tu as l’air d’une déesse triomphante. Quel triomphe as-tu remporté ?

Suzanne rougit, et, gênée, elle prononça au hasard :

— Mais toi, Marthe, on croirait que tu es préoccupée…

— En effet… peut-être… avoua la jeune femme.

Alors elle raconta que la veille au soir, se trouvant seule avec sa belle-mère, elle lui avait dit les nouvelles idées de Philippe, l’esprit de ses travaux, son projet de démission, et sa volonté irrévocable d’une explication avec M. Morestal.

— Eh bien ?

— Eh bien, déclara Marthe, ma belle-mère a bondi. Elle s’oppose absolument à toute explication.

— Pourquoi ?

M. Morestal a des troubles au cœur. Le docteur Borel, qui le soigne depuis vingt ans, ordonne qu’on lui évite les contrariétés, les émotions trop fortes. Or, un entretien avec Philippe pourrait avoir des suites funestes… Que répondre à cela ?

— Il faut que tu avertisses Philippe.

— Certes. Et lui, il devra, ou bien se taire et continuer une existence intolérable, ou bien affronter, et avec quelle angoisse, la colère de M. Morestal.

Elle se tut un moment, puis, frappant la table de ses deux poings :

— Ah ! s’exclama-t-elle, si je pouvais prendre tous ces ennuis-là pour moi, et protéger la paix de Philippe !

Suzanne sentit toute sa violence et toute son énergie. Aucune douleur ne l’eût effrayée, aucun sacrifice n’eût été au-dessus de ses forces.

— Tu aimes beaucoup Philippe ? demanda-t-elle.

Marthe sourit :

— Le plus que je peux… Il le mérite.