Page:Leblanc - La frontière, paru dans l'Excelsior, 1910-1911.djvu/80

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— C’est un déserteur qui est mort… un déserteur allemand.

Et aussitôt une grande paix envahit les trois femmes. Après l’assaut des événements qui s’étaient rués sur elles comme une tempête, il leur semblait que rien ne pouvait plus les atteindre. Le fantôme de la mort s’écartait de leur esprit. Un homme avait bien été tué, mais cela n’avait pas d’importance, puisque cet homme n’était point l’un des leurs. Et une telle allégresse les secouait qu’elles avaient envie de rire.

Et de nouveau Catherine survint. Elle annonçait le retour de Victor. Les trois femmes virent, en effet, au débouché du col, un homme qui talonnait son cheval au risque d’une chute sur la pente rapide de la route. On s’aperçut bientôt, lorsque l’homme parvint à l’Étang-des-Moines, que quelqu’un le suivait à grands pas, et Marthe poussa des exclamations de joie en reconnaissant la haute silhouette de son mari.

Elle agita son mouchoir. Philippe répondit au signal.

— C’est lui ! dit-elle toute défaillante. C’est lui, maman… Je suis sûre qu’il va nous renseigner… et que M. Morestal ne tardera pas…

— Allons à leur rencontre, proposa Suzanne.

— Oui, fit-elle vivement, j’y vais. Reste ici, toi, Suzanne… reste avec maman.

Elle s’élança, avide d’être la première qui accueillît Philippe, et retrouvant assez de forces pour courir jusqu’au bas de la descente.

— Philippe ! Philippe ! criait-elle… Enfin, te voilà…

Il la souleva de terre et la pressa contre lui.

— Ma chérie, il paraît que tu étais inquiète… Il ne fallait pas… je te raconterai…

— Oui, tu nous raconteras… Mais viens… viens vite embrasser ta mère et la rassurer…

Elle l’entraîna. Ils gravirent l’escalier, et, sur la terrasse, il se trouva tout à coup en présence de Suzanne, qui attendait, crispée de jalousie et de haine. L’émoi de Philippe fut si fort qu’il ne lui tendit même pas la