Page:Leblanc - La frontière, paru dans l'Excelsior, 1910-1911.djvu/85

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cela, ah ! bigre !… ce que tu te serais tourmentée de ma fatigue ! Non, je te vois d’ici, ma pauvre Marthe !

Il affectait la gaieté et l’insouciance. Marthe l’observait avec étonnement. Elle hocha la tête d’un air pensif.

— Certes… tu as raison…

— N’est-ce pas ? Il était beaucoup plus simple de dire que je sortais de ma chambre, bien dispos, après une bonne nuit… Voyons, maman, n’est-ce pas ton opinion ? Et toi-même, d’ailleurs…

Mais à ce moment, un bruit de voix s’éleva sous les fenêtres du jardin, et Catherine fit irruption dans la pièce en criant :

— Monsieur ! monsieur !

Et Victor bondit également !

— Voilà monsieur ! Le voilà !

— Mais qui ? demanda Mme Morestal en se précipitant.

— Monsieur Morestal ! Le voilà ! Nous l’avons vu au bout du jardin… Tenez, là-bas, près de la cascade…

La vieille dame courut à l’une des fenêtres.

— Oui ! il nous a vues ! Ah ! Seigneur Dieu, est-il possible !

Bouleversée, titubante, elle s’appuya au bras de Marthe et l’entraîna vers l’escalier qui conduisait au vestibule et au perron.

À peine avaient-elles disparu toutes les deux que Suzanne se jeta sur Philippe.

— Ah ! je vous en prie… je vous en prie, Philippe, implora-t-elle.

Il ne comprit pas d’abord.

— Qu’y a-t-il, Suzanne ?

— Je vous en prie, faites attention. Que Marthe ne se doute pas…

— Est-ce que vous croyez ?

— Une seconde, j’ai cru… Elle m’a regardé d’un air si drôle… Oh ! ce serait terrible… Je vous en prie…

Elle s’éloigna vivement, mais ses paroles, ses yeux égarés, causèrent à Philippe une véritable frayeur. Il n’avait eu jusqu’ici, en face de Marthe, qu’une gêne provoquée par l’ennui de mentir. Maintenant il apercevait soudain la gravité de la situa-