Page:Leblanc - Le Bouchon de cristal, paru dans Le Journal, 25-09 au 09-11-1912.djvu/81

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

venu me voir, le misérable, et qui m’a raconté cyniquement son entrevue avec mon mari et les paroles échangées. Or il n’y a pas que cette liste, il n’y a pas que ce fameux bout de papier sur lequel le caissier notait les noms et les sommes touchées, et sur lequel, rappelez-vous, le président de la compagnie, avant de mourir, a mis sa signature en lettres de sang. Il n’y a pas que cela. Il y a certaines preuves plus vagues, que les intéressés ne connaissent pas : correspondance entre le président de la compagnie et son caissier, entre le président et ses avocats-conseils, etc. Seule compte, évidemment, la liste griffonnée sur le morceau de papier ; celle-là est la preuve unique, irrécusable, qu’il ne servirait de rien de copier ou de photographier, car son authenticité peut être contrôlée, dit-on, de la façon la plus rigoureuse. Mais, tout de même, les autres indices sont dangereux. Ils ont suffi à démolir déjà deux députés. Et de cela Daubrecq sait jouer à merveille. Il effraye la victime choisie, il l’affole, il lui montre le scandale inévitable, et l’on verse la somme exigée, ou bien l’on se tue comme mon mari. Comprenez-vous, maintenant ?

— Oui, dit Lupin.

Et, dans le silence qui suivit, il reconstitua la vie de Daubrecq. Il le voyait maître de cette liste, usant de son pouvoir, sortant peu à peu de l’ombre, jetant à pleines mains l’argent qu’il extorquait à ses victimes, se faisant nommer conseiller général, député, régnant par la menace et par la terreur, impuni, inaccessible, inattaquable, redouté du gouvernement qui aime mieux se soumettre à ses ordres que de lui déclarer la guerre, respecté par les pouvoirs publics, si puissant enfin qu’on avait nommé secrétaire général de la préfecture de police, contre tous droits acquis, Prasville, pour ce seul motif qu’il haïssait Daubrecq d’une haine personnelle.

— Et vous l’avez revu ? dit-il.

— Je l’ai revu. Il le fallait. Mon mari était mort, mais son honneur demeurait