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intact. Nul n’avait soupçonné la vérité. Pour défendre tout au moins le nom qu’il me laissait, j’ai accepté une première entrevue avec Daubrecq.

— Une première, en effet, car il y en a eu d’autres ?…

— Beaucoup d’autres, prononça-t-elle d’une voix altérée, oui, beaucoup d’autres… au théâtre… ou certains soirs à Enghien… ou bien à Paris, la nuit… car j’avais honte de le voir, cet homme, et je ne veux pas qu’on le sache… Mais il le fallait… un devoir plus impérieux que tout me le commandait… le devoir de venger mon mari…

Elle se pencha sur Lupin, et ardemment :

— Oui, la vengeance, ce fut la raison de ma conduite et le souci de toute ma vie. Venger mon mari, venger mon fils perdu, me venger, moi, de tout le mal qu’il m’a fait… je n’avais plus d’autre rêve, d’autre but. Je voulais cela, l’écrasement de cet homme, sa misère, ses larmes — comme s’il pouvait encore pleurer ! — ses sanglots, son désespoir…

— Sa mort, interrompit Lupin, qui se souvenait de la scène entre eux dans le bureau de Daubrecq.

— Non, pas sa mort. J’y ai pensé souvent. J’ai même levé le bras sur lui. Mais à quoi bon ! Il a dû prendre ses précautions. Le papier subsisterait. Et puis, ce n’est pas se venger que de tuer. Ma haine allait plus loin. Elle voulait sa perte et sa déchéance, et pour cela, un seul moyen, lui arracher ses griffes. Daubrecq privé de ce document qui le rend si fort, Daubrecq n’existe plus. C’est la ruine immédiate, le naufrage, et dans quelles conditions lamentables ! Voilà ce que j’ai cherché.

— Mais Daubrecq ne pouvait se méprendre sur vos intentions ?

— Certes non. Et ce fut, je vous le jure, d’étranges rendez-vous que les nôtres, moi le surveillant, tâchant de deviner derrière ses gestes et derrière ses paroles le secret qu’il cache… et lui… et lui…

— Et lui, dit Lupin, achevant la pensée de Clarisse Mergy… lui, guettant la proie