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Page:Leblanc - Le Bouchon de cristal, paru dans Le Journal, 25-09 au 09-11-1912.djvu/9

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— Crédieu ! fit Lupin, qui lâcha le récepteur.

En une vision effrayante, la vérité lui apparaissait. Tout au début, et tandis que le déménagement s’effectuait, Léonard, dont les liens n’étaient pas rigides, avait réussi à se dresser, à décrocher le récepteur, probablement avec ses dents, à le faire tomber et à demander du secours au bureau téléphonique d’Enghien.

Et c’était là les paroles que Lupin avait surprises une fois déjà, après le départ de la première barque « Au secours… à l’assassin ! On va me tuer… »

Et c’était là maintenant la réponse du bureau téléphonique. La police accourait. Et Lupin se rappelait les rumeurs qu’il avait perçues du jardin, quatre ou cinq minutes auparavant tout au plus.

— La police… sauve qui peut, proféra-t-il en se ruant à travers la salle à manger.

Gilbert objecta :

— Et Vaucheray ?

— Tant pis pour lui.

Mais Vaucheray, sorti de sa torpeur, le supplia au passage :

— Patron, vous n’allez pas me lâcher comme ça !

Lupin s’arrêta, malgré le péril, et, avec l’assistance de Gilbert, il soulevait le blessé, quand un tumulte se produisit dehors.

— Trop tard dit-il.

À ce moment, des coups ébranlèrent la porte du vestibule qui donnait sur la façade postérieure. Il courut à la porte du perron : des hommes avaient déjà contourné la maison et se précipitaient. Peut-être aurait-il réussi à prendre de l’avance et à gagner le bord de l’eau ainsi que Gilbert. Mais comment s’embarquer et fuir sous le feu de l’ennemi ?

Il ferma et mit le verrou.

— Nous sommes cernés… fichus… bredouilla Gilbert.

— Tais-toi, dit Lupin.

— Mais ils nous ont vus, patron. Tenez les voilà qui frappent.

— Tais-toi, répéta Lupin… Pas un mot… Pas un geste.

Lui-même demeurait impassible, le visage absolument calme, l’attitude pensive de quelqu’un qui a tous les loisirs nécessaires pour examiner une situation délicate sous toutes ses faces. Il se trouvait à l’un de ces instants qu’il appelait les minutes supérieures de la vie, celles qui seulement donnent à l’existence sa valeur et son prix. En cette occurrence, et quelle que fût la menace du danger, il commençait toujours