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Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/105

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— Ne vous embarrassez pas de cela, Flossie, protesta Mary, je déferai ce paquet.

— Oh ! non, ce n’est pas la peine, dit Florence avec un naturel parfait. Dans ce paquet, Mary, il n’y a pas autre chose que mon costume de bain. Je vais le porter dans ma cabine.

Et, pendant que Mary continuait avec diligence ses rangements, Florence sortit de la pièce, gagna la véranda, descendit l’escalier conduisant à la plage et, son paquet sous le bras, s’en alla sans hâte du côté des falaises.

Elle distingua, à une assez grande distance devant elle, deux hommes qui s’avançaient entre les rochers tout en causant avec animation. Mais la jeune fille n’y attacha nulle importance et continua sa route, marchant à pas muets dans le sable que la brise chassait en tourbillons ténus.

Elle était parvenue à proximité d’une cabine de bain, quand elle vit sur le sol ce qu’elle cherchait depuis quelque temps : un gros galet parfaitement arrondi. Elle le ramassa et le soupesa. Alors, ouvrant un coin de l’enveloppe de son paquet, elle mit dans l’intérieur, en manière de lest, la grosse et lourde pierre. Elle refermait l’enveloppe avec soin lorsque, soudain, elle s’arrêta et prêta l’oreille. Elle avait entendu des voix dans la cabine de bain qui paraissait abandonnée, et ce que disaient ces voix lui parut digne d’attention.

— Vous avez dit vrai, M. Tom Drew, prononçait gravement une voix masculine empreinte d’un léger accent étranger. Sur ma parole, cela dépasse encore ce que nous espérions. Il est inutile de le nier.

Et une autre voix, dans le plus pur américain, répondit :

— Oui. Je le sais. C’est pourquoi mon père ne voulait pas divulguer le secret. C’est l’invention la plus terrible qui ait jamais été faite. Quel prix offrez-vous ?

Florence était devenue très pâle.

— Oh ! le misérable, le misérable. C’était donc vrai, murmura-t-elle.

Elle s’approcha de la cabine de bain à pas légers. Celle-ci, élevée de quelques marches, avait une porte faite, pareillement aux parois, de planches épaisses, et une petite fenêtre composée de planches étroites, très espacées entre elles. À travers les fentes de la fenêtre, Florence jeta un coup d’œil furtif dans l’intérieur.

La jeune fille s’appuyait à la paroi de la cabine de sa main droite posée à plat sur les planches et tout à coup, sur cette main, une ombre surgit, rose d’abord, puis plus foncée, puis écarlate : le Cercle Rouge.

Florence vit la marque, mais elle ne frissonna point de la revoir. Une émotion plus haute que ses terreurs ou ses angoisses l’animait, le souci d’une destinée plus vaste que sa destinée à elle la préoccupait, l’enfiévrait, la jetait à l’action.

Plus silencieuse qu’une ombre, elle quitta son poste d’observation, posa à terre son paquet et alla ramasser, à quelques pas, une lourde et longue traverse de bois qu’elle dressa obliquement contre la porte de la cabine qui s’ouvrait en dehors et se trouvait ainsi bloquée solidement.

Florence, ensuite, revint vers la fenêtre.

Dans l’intérieur de la cabine qu’ils avaient choisie comme un lieu sûr et secret pour y discuter les bases du marché qui, peut-être, mettrait en jeu le sort d’une guerre future, Ted Drew et l’agent étranger débattaient avec âpreté le prix de l’invention terrible.

Ils étaient assis sur des tabourets grossiers, de chaque côté d’une table de bois fruste. Sur cette table, entre eux deux, Ted Drew avait posé son portefeuille contenant les plans.

— Je vous assure, monsieur Ted Drew, disait Chertek, vos prétentions sont excessives… Deux millions de dollars, c’est beaucoup trop… Mon gouvernement ne m’a pas donné carte blanche.

— Votre gouvernement ? Est-ce l’Alle-