Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/205

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secourues, en punissant les oppresseurs et les bandits que la loi ne peut châtier ? » Oui, tout cela, je le sais, vous l’avez pensé, dit tout haut peut-être, car votre âme, Max, est noble et généreuse, car vous êtes l’homme le plus loyal, le plus digne du nom d’homme que j’aie jamais rencontré. C’est pour cela que moi, Florence Travis, riche, honorée, indépendante, gâtée par la société tout entière, recherchée par tous, j’ai refusé tous les partis, j’ai laissé mon cœur aller vers vous sans hésitation, sans réflexion, sans m’en rendre compte… aussi naturellement que je respirais.

Elle passa la main sur son front, dans un geste, d’indicible souffrance, et dit encore :

— Soyez persuadé aussi que mon amour était désintéressé et sans espoir. Je savais que nous étions à jamais séparés, je savais que je devais me contenter d’être une amie pour vous, une grande amie, une collaboratrice dévouée jusqu’au sacrifice, une sœur…

L’accent de la jeune fille était si douloureux, si poignant, que Max sentit des larmes qui montaient à ses yeux. Il voulut parler, mais avant qu’il eût prononcé un seul mot, Florence avait repris, haletante un peu de tant d’émotion qui la brisait :

— Je vous ai dit tout cela parce que, sans votre désir de tout connaître, sans cette obligation où vous vous êtes cru de me juger, vous n’auriez jamais rien su de mes pensées secrètes. Le destin seul a tout fait. J’en suis une fois de plus la victime. J’irai désormais où la fatalité qui est en moi me conduira. Mais ce pardon que je vous demandais tout à l’heure, à présent, je ne vous le demande plus. Il me diminuerait encore à mes yeux et aux vôtres. Ne me répondez pas ; j’achève. Vous avez le droit, maintenant, de me considérer comme une étrangère, mieux, comme une coupable. Oubliez ce que je viens de vous dire, poussée par le désir que vous, au moins, ne me méconnaissiez pas. Reprenez votre œuvre de justice selon la justice, accusez-moi, dénoncez-moi. Le jour où l’on instruira le procès de la femme au Cercle Rouge, j’espère que votre témoignage ne m’accablera pas et qu’il se trouvera des juges pour comprendre que mes fautes sont atténuées par l’intention qui me les a fait commettre et sont atténuées aussi par l’hérédité qui m’accable… Et quand j’aurai rendu compte de mes actions à la justice, quand j’aurai ensuite subi la peine, qui me frappera si l’on me condamne, je chercherai quelque contrée lointaine où, isolant ma folie, mon malheur et ma honte, je ne trouverai plus l’occasion d’exercer le terrible pouvoir qui est en moi. Je ne vivrai plus alors qu’avec mes souvenirs, c’est-à-dire avec un souvenir… que vous ne pouvez m’arracher.

L’émotion l’accablait peu à peu. Des larmes, irrésistiblement, jaillirent de ses yeux. Elle couvrit son visage de ses mains et, éperdue, se laissa tomber dans le fauteuil, en proie au plus violent désespoir.

Max Lamar, durant cette longue confession, était passé par toutes les phases de la douleur et de l’angoisse. L’aveu qu’il venait d’entendre était pour lui une révélation. Il comprenait que Florence avait dit vrai, et la jeune fille, à ses yeux, devenait maintenant l’image même de la générosité, du courage, de la bonté et du malheur immérité. Elle s’idéalisait magnifiquement et il se désespérait de l’avoir jugée si vite et si mal, si impitoyablement. Il se trouvait maintenant indigne d’elle et un repentir immense le torturait.

Comme un fou, il se précipita aux genoux de la jeune fille.