Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/24

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d’elle et eut un geste de dépit. Dans la pièce sombre, sévèrement meublée, pas un papier, pas une fiche, pas un dossier ne traînait ni sur la table de travail, ni dans les casiers des cartonniers.

Tout était vide.

Elle s’assit. Puis, sans relever ses voiles, posant ses deux mains sur son front et s’appuyant à la table, elle réfléchit assez longtemps. Des mouvements nerveux agitaient ses épaules. Son attitude donnait l’impression d’une personne inquiète, irrésolue, désappointée, qui est venue pour accomplir un acte, et qui ne trouve point, dans les circonstances, l’aide nécessaire à l’accomplissement de cet acte.

Son bras droit retomba sur la table. Il y avait, dans un plateau de cristal, des porte-plume et des crayons de toutes sortes. Elle prit un crayon, distraitement, et, le mania tout en poursuivant sa pensée.

À côté du plateau, il y avait un bloc-notes dont la page de dessus s’offrait, toute blanche. Toujours distraite, elle se mit à tracer des lignes au hasard, et sans regarder, pour ainsi dire, ce qu’elle faisait.

Quelques minutes s’écoulèrent.

Et, soudain, elle tressaillit et s’écarta vivement de la table, comme frappée par une vision mauvaise. Elle venait de voir tout à coup ce que sa main avait, à son insu, inscrit sur la page blanche.

C’était un cercle, un cercle irrégulier, de l’épaisseur d’un bracelet. Et le crayon qu’elle avait pris, qu’elle avait choisi instinctivement dans le plateau de cristal, était un crayon rouge.

Elle arracha la page du bloc-notes, la froissa et la jeta avec un frisson d’horreur. Ensuite, s’étant levée, elle marcha rapidement vers la porte par laquelle Larkin l’avait introduite. Au moment de saisir la poignée, elle s’arrêta, de nouveau indécise. S’en irait-elle ? Ou bien persisterait-elle dans son projet ? Elle hésitait, avec des gestes qui montraient combien la lutte était pénible, et par quels sentiments contradictoires et violents elle était déchirée.

Deux fois la visiteuse inconnue avança le bras vers la poignée. Deux fois elle s’éloigna de la porte. Pourtant, elle allait partir… Un hasard fixa le destin… Tout près d’elle, un rideau de panne verte cachait une partie du mur, qui était opposé à la fenêtre, et ce rideau, elle eut la curiosité de le soulever.

Elle vit alors une porte fermée — une porte métallique, haute de près de deux mètres, et semblable à une porte de coffre-fort, avec ses serrures, ses boutons et ses cadrans.

La femme voilée ne bougea plus, et, chose étrange, ce n’était point cette porte de fer qu’elle examinait… Non, elle examinait sa main — sa main droite crispée au rideau qu’elle soulevait, sa main droite sur le dos de laquelle apparaissait, dans le lacis des veines et des muscles, une légère teinte rosée, en forme de cercle.

Elle se mit à trembler convulsivement, durant une minute peut-être, d’un tremblement qui, par un phénomène mystérieux, s’atténuait à mesure que la vision qui l’épouvantait, devenait plus précise. La marque s’aggrava. La teinte rose fonça, devint rouge, rouge écarlate, rouge sang.

— Oui, oui, murmura, sous ses voiles, l’énigmatique inconnue, comme si elle se répondait à elle-même, je vais agir… Je ne puis pas ne pas agir…

Elle eut encore un grand frisson, le frisson, peut-être, d’une révolte dernière contre une force secrète qui la dominait. Et, soudain, elle fut calme, tranquille, résolue…

Elle se baissa, étudia le mécanisme de la porte et des cadrans, se rendit compte que le coffre était clos sans qu’il fût possible de l’ouvrir, et rabattit la tenture.

Ensuite elle alla ramasser la feuille de papier froissée qu’elle avait jetée à terre tout à l’heure, après y avoir tracé la rouge marque mystérieuse. Elle la fit