disparaître sous ses voiles. Alors, elle fit lentement le tour de la pièce. Elle était si maîtresse d’elle-même qu’elle se rassit paisiblement dans un fauteuil de cuir et réfléchit quelques instants.
Puis elle se releva. Son plan était arrêté.
D’autres rideaux de panne retombaient lourdement devant l’embrasure de la fenêtre.
Elle constata qu’en s’en enveloppant, elle pourrait se dissimuler sans que rien révélât sa présence.
À ce moment, une voix aigre s’éleva dans le salon d’attente. Un pas s’approcha. Une main se posa sur le bouton de la porte du bureau.
L’établissement que M. Karl Bauman appelait sa banque avait eu des débuts modestes et qu’un esprit malveillant eût qualifiés de louches. Maintenant, il occupait tout le premier étage d’une maison de belle apparence, située dans une rue convenable, mais qui se trouvait aux confins des quartiers populeux. Cette situation, pensait M. Bauman, proclamait que sa clientèle se composait de toutes les classes de la société, et, par malheur pour la société, c’était vrai.
M. Karl Bauman s’intitulait homme d’affaires, mais, s’il avait eu la moindre franchise, il aurait remplacé cette désignation sur ses cartes de visite par ce seul mot : Usurier.
Usurier, il l’était autant qu’on peut l’être, et en tous genres. Certes, il fournissait de l’argent, à des taux exorbitants, à des négociants gênés ou à des jeunes gens riches qu’il dépouillait, lambeau par lambeau, de leur fortune présente et de leurs héritages à venir, mais, en outre, il ne dédaignait aucunement le sordide trafic et les humbles profits du prêt à la petite semaine. Il disait volontiers, avec un ricanement qui voulait être jovial, que les petits ruisseaux font les grandes rivières et, envers sa pauvre clientèle d’artisans momentanément sans travail, de petits boutiquiers en difficulté et d’employés faméliques, dont il rongeait les maigres gains, il se montrait plus dur, plus âpre, plus impitoyable encore, si possible, qu’avec les autres.
Dans les quartiers populeux, sur lesquels il avait étendu ses opérations comme les fils d’une toile d’araignée, il n’y avait pas de rue et presque pas de maison où l’on ne payât une dîme usuraire à M. Bauman et où son nom ne signifiât point la ruine et la misère.
Un quart d’heure environ après que Larkin eut laissé passer la femme voilée, M. Bauman fit son entrée dans sa maison de banque.
M. Bauman était d’origine germanique, comme l’indiquaient son nom et aussi l’accent rocailleux de sa voix glapissante, mais il n’avait rien du Germain blond, adipeux et pesant. C’était, au contraire, un homme sec, vif, maigre et chafouin, qui visait à la majesté malgré sa petite taille et s’habillait toujours avec une élégance recherchée bien qu’il ne fût plus du tout un jeune homme. Ses victimes de la classe populaire le comparaient à un vautour ou à un crocodile, à une sangsue ou à un loup-cervier. En réalité, au physique, il ressemblait à une belette qui aurait eu une houppe de cacatoès en colère. Son visage glabre, jaune, parcheminé et pointu était percé de deux petits yeux couleur fer, coupé par une bouche sans lèvres et précédé par un long nez, mince et crochu. Ses cheveux grisonnants se dressaient sur son crâne comme un toupet de clown, et toute sa personne eût semblé risible n’eût été la dureté froide et l’impudence de son regard.
M. Bauman, en chapeau haut de forme luisant comme un soleil, en redingote impeccable, franchit, si raide et si important qu’il semblait grandir sa petite taille, le vestibule de la banque.